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TORONTO 2025 Discovery

Critique : Egghead Republic

par 

- Pella Kågerman et Hugo Lilja proposent dans leur deuxième long un récit dystopique surréaliste, situé dans une année 2004 alternative, où entrent en collision satire, vulgarité et SF

Critique : Egghead Republic
Ella Rae Rappaport dans Egghead Republic

Dans leur deuxième long-métrage, Egghead Republic, qui a fait sa première au Festival international du film de Toronto (4-14 septembre), les Suédois Pella Kågerman et Hugo Lilja portent leur goût de la fiction spéculative sur un nouveau terrain anarchique. Après le voyage spatial existentiel qu'était Aniara [+lire aussi :
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(2018, également projeté à Toronto), le duo adapte cette fois le roman La république des savants d'Arno Schmidt (1957) et le fait passer à travers le filtre de l'expérience de Kågerman chez Vice quand le média était au sommet de son influence. Ce cocktail audacieux de satire du journalisme gonzo, de tableau des excès du style hipster indé et de science-fiction dystopique, qui a été projeté dans la section Discovery du rendez-vous canadien, est aussi exaltant que débridé.

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Le film se déploie pendant une année 2004 alternative où la Guerre froide ne s'est jamais calmée et où une bombe nucléaire s'est abattue sur le Kazakhstan soviétique. Sonja Schmidt (Ella Rae Rappaport) est une aspirante journaliste naïve et rêveuse qui accepte de travailler comme stagiaire non payée pour le Kalamazoo Herald, un journal dont le propriétaire est Dino Davis (joué par le Canadien Tyler Labine), fanfaron magnat des médias qui incarne tout ce qui est monstrueux et ridicule dans la position d’entrepreneur dans le champ de la contre-culture. Il boit des hectolitres de vodka, sniffe des montagnes de cocaïne et beugle sur tout ce qui bouge, car c'est un caractériel qui oscille constamment entre mégalomanie et désespoir. C’est un imbécile incurable mais terrifiant, car il est très reconnaissable.

Ensemble, Sonja, Dino et les techniciens caméra Gemma (Emma Creed) et Turan (Arvina Kananian) vont suivre de l'intérieur une expédition militaire vers une base soviéto-américaine située à l’orée d'un territoire kazakh désolé et radioactif. Comme les rumeurs abondent sur les créatures mutantes qui peupleraient ce lieu (notamment des centaures irradiés), Dino y voit une occasion de transformer le danger en spectacle. À partir du moment où son équipe arrive à se défaire de ses accompagnateurs et à s’aventurer plus loin dans la zone, le film tombe dans un délire surréaliste.

Kågerman et Lilja prennent à bras-le-corps les textures VHS d'époque, les tubes du début des années 2000 (notamment “Banquet” de Bloc Party) et le grain de la basse fidélité, créant ainsi une dystopie qui évoque à la fois la fin du monde et un documentaire Vice. Ce choix esthétique rehausse l’humour grotesque de l'ensemble et donne à chaque scène l'allure d’une transmission distordue qu'on aurait réussi à faire sortir en contrebande d'une temporalité parallèle.

Rappaport joue très bien le rôle de point d'ancrage du film en faisant de Sonja un personnage à la fois sympathique et tragiquement crédule, une jeune femme convaincue qu'endurer toutes sortes d'humiliations est le prix à payer pour percer dans ce milieu. Face à elle, Labine crève l’écran par son interprétation bien dérangée du ciboulot qui rend compte, à parts égales, de l'idiotie comme de l'arrogance de Dino. Leurs interactions scandent le rythme du film : Sonja s’accroche à ses espoirs tandis que Dino bascule dans une spirale d'autoparodie où il l'entraîne qu'elle le veuille ou non.

Sur le plan narratif, Egghead Republic fonce à toute allure. Le récit se nourrit de mystère, de choix malavisés et de variations de tonalité extravagantes, faisant souvent des embardées inattendues, passant de l'ignoble au surréaliste en un instant. Cette imprévisibilité maintient le spectateur sur le bord de son siège, et le refus des auteurs de dompter le chaos ne fait qu’appuyer la critique que formule le film sur la culture des médias accros aux extrêmes. La satire est cinglante mais jamais claire et nette : Kågerman et Lilja préfèrent savourer l’absurdité, forçant du même coup le spectateur à faire lui même le tri dans ce chaos pour y trouver du sens.

Parfois, le film bifurque vite, du génie à la pure folie. Son humour est grossier, ses détours surréalistes excessifs, mais c’est précisément pour cela qu’il est inoubliable. Egghead Republic est un film d’extrêmes : hilarant et repoussant, incisif et idiot, à la fois inspiré et dément. C’est le genre d’anomalie cinématographique que certains vont considérer comme du grand n’importe quoi, et que d'autres trouveront visionnaire. Une chose est sûre : personne ne risque d'oublier ce film.

Egghead Republic est une production suédoise qui a réuni les efforts de YouSavedMe et de l'Institut suédois du cinéma ainsi que de Film Stockholm, NonStop Entertainment, Gotlands Filmfond, Film i Dalarna et Pie in the Sky Productions. Les ventes internationales du film sont assurées par Best Friend Forever.

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(Traduit de l'anglais)

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