Critique : Laundry
par Olivia Popp
- La réalisatrice Zamo Mkhwanazi, originaire de Durban, livre un premier long-métrage d'apprentissage qui se déroule dans le Johannesburg des années 1960, au temps de l'Apartheid

Laundry, dont l'action se déroule en 1978 à Johannesbourg, en plein Apartheid, témoigne du sens du style et de l'habileté à rendre une époque et un lieu (en particulier cette époque extrêmement violente de l'histoire sud-africaine) de Zamo Mkhwanazi, née à Durban. Mkhwanazi a déjà présenté des courts-métrages à la Quinzaine des Cinéastes de Cannes et à Toronto. De son côté, Laundry a participé, en tant que WIP, aux Ateliers de l’Atlas du Festival international du film de Marrakech en décembre dernier (lire l’arcticle), et le voilà qui vient de faire sa première mondiale dans la section Discovery du Festival international du film de Toronto, un tremplin unique pour les cinéastes à leur premier ou deuxième long-métrage.
Si Khuthala (incarné par l'acteur de télévision et chanteur Ntobeko Sishi), 16 ans, ne rêve que d’une carrière dans la musique (car c'est un musicien talentueux qui joue de cinq instruments), sa petite sœur Ntombenhle (Zekhethelo Zondi), fan de mécanique, s’intéresse davantage aux notices techniques de sèche-linges, dans le cadre du commerce qui fait la fierté de leur père Enoch (Siyabonga Melongisi Shibe) : la blanchisserie industrielle à laquelle se réfère le titre (qui signifie "lessive/lavage de linge", ndlt.). C'est pourtant Khuthala qu'Enoch prépare pour qu’il reprenne son affaire, située dans un quartier réservé aux blancs où Enoch est considéré comme un "exempted native", statut qui lui donne des droits spéciaux dans cette zone bien qu'il soit noir.
Comme le film a été tourné avant tout en zoulou, ces premiers mots qu'on entend en anglais font l’effet d’une gifle. Les scènes qui suivent, où l'on voit quelles railleries brutalement racistes les bureaucrates afrikaners lancent à Enoch, glaceront le sang du spectateur. Si le film donne parfois l'impression de s'engager vaguement sur un terrain plus jovial (ne serait-ce qu'un instant), Mkhwanazi a l'intelligence de nous ramener à chaque fois à la réalité pour que les spectateurs ne perdent jamais de vue la dureté des conditions de vie des Sud-Africains noirs de peau pendant l'Apartheid.
La mère de Khuthala, Magda (Bukamina Cebekhulu), fait semblant de ne rien savoir de la liaison de son mari avec la chanteuse Lilian (Tracy September, qui a également contribué à la musique du film), dans la mesure où il arrive à maintenir les finances de la famille à flot. Khuthala, naïf, se met à supplier Lilian pour qu’elle lui donne la chance d'intégrer son groupe pour une tournée aux États-Unis, comme s'il ignorait tout ou presque des aspects politiques (personnels et raciaux) complexes de la situation. Ceci nous amène aux merveilles stylistiques qu'offre ce film, que Mkhwanazi a élaborées avec un œil attentif. Les décors (de Gavin Scates) sont éclatants de couleurs vives et de détails d’époque. Des intérieurs aux costumes (de Nompumelelo Sinxoto), on est instantanément transporté dans le "Joburg" d'il y a quelques décennies.
La plus grande réussite de Mkhwanazi ici est qu'elle parvient à intégrer le contexte historique à son histoire sans jamais tomber dans le didactisme – même si la partie récit d'apprentissage autour du personnage de Khuthala, tiraillé entre les intérêts familiaux et ses desseins personnels, se met à passer un peu au second plan. La première moitié du film conquiert grâce au soin que met la réalisatrice à créer des scènes chargées de tension, portées par les personnages. La seconde se délite un peu, car les sous-intrigues y sont étirées plus que de raison. En revanche, le dénouement dévastateur de Laundry ne fait en rien l'effet d'une porte de sortie facile et gratuite, ce qui fait de ce premier long-métrage un film inoubliable.
Laundry a été produit par Akka Films (Suisse) et Kude Media (Afrique du Sud).
(Traduit de l'anglais)
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