TORONTO 2025 Special Presentations
Critique : Franz
par Olivia Popp
- Agnieszka Holland dédie à Kafka un biopic pas comme les autres, porté par un Idan Weiss en ébullition, qui tente de rendre compte de ce que l'écrivain nous a laissé, au-delà des citations à la mode

"Le rapport entre le nombre de mots écrits par Franz Kafka et ceux écrits sur Franz Kafka est de un contre un million", fait observer un guide touristique dans un musée de Prague dédié au célèbre écrivain tchèque germanophone, auquel Agnieszka Holland a décidé de rendre un hommage insolite dans Franz [+lire aussi :
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interview : Agnieszka Holland
fiche film]. Ce biopic non chronologique écrit par Marek Epstein (également scénariste de Charlatan [+lire aussi :
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fiche film], réalisé par Holland en 2020), qui vient de faire sa première mondiale dans la section Special Presentations de Toronto, va bientôt rallier la compétition pour le Coquillage d’or de San Sebastian. Ici, la cinéaste polonaise encensée utilise la forme pour dissiper, justement, le mythe et la réécriture qui a fait de Franz Kafka Kafka, troquant le surréalisme et la noirceur qu'on lui attache typiquement pour une ambiance décalée, parfois même insouciante.
Le spectateur-n'ayant-pas-lu-Kafka moyen connaît probablement, au moins, La métamorphose (et peut être même l'image du cafard couché sur le dos dans un lit, dessinée par Rich Johnson, qui a été placée en couverture de nombreuses éditions du roman), mais l’homme lui-même est indéniablement un mystère. Heureusement, on n'a pas vraiment besoin de savoir quoi que ce soit sur lui, et on n’a pas besoin non plus de savoir s'il était vraiment comme ça. Au lieu de ça, on a une habile représentation de Franz véhiculée par l'acteur allemand Idan Weiss, qui incarne un homme angoissé, bourré de tics et porté aux petits éclats de rire nerveux, offrant une image captivante de l'auteur. Bien que tous les autres l'admirent, il est certainement l'individu qui détonne parmi son entourage – sa sœur Ottla (Katharina Stark), son ex-fiancée Felice (Carol Schuler) et son ami (et futur éditeur) Max Brod (Sebastian Schwarz), qui vont tous, à un moment du film, se tourner vers la caméra pour raconter l’histoire de Franz, ce par quoi Holland nous rappelle bien qu'il s'agit d'un portrait de l'écrivain par les autres.
On assiste au plus gros de la vie d’adulte de Franz, racontée à travers une série de moments mémorables qui nous permettent de comprendre rapidement qui il est. Il demande en pestant qu'un sans-logis à qui il a donné une pièce lui rende la monnaie, éclate d'un fou rire incontrôlable quand il perçoit une absurdité que personne d’autre n’a vue et arbore un sourire crispé face aux grimaces de l’élite de Prague lors de sa lecture en personne d'une scène brutale de La colonie pénitentiaire. Le reste du film est cousu ensemble au moyen de choix cinématographiques pseudo-expérimentaux (en complicité avec le chef opérateur Tomasz Naumiuk), comme les personnages secondaires qui brisent le quatrième mur, quelques zooms rapides çà et là, et des collages visuels. Franz n’est jamais ennuyeux (et on oserait même ajouter qu'il n'est jamais kafkaïen), mais le fatras résultant de ces choix laisse le spectateur perplexe quant aux raisons de cette sélection, au-delà de la simple tentative de déloger une certaine image de l’auteur bien ancrée.
Holland intègre au film un nombre étonnamment significatif de scènes se référant à ce que nous a laissé l'écrivain (ou du moins ce qui en a été commercialisé), se tournant aussi vers le présent pour montrer des objets épars contenus par le Musée Kafka, des babioles pour touristes et les guides qui donnent un aperçu de sa vie. Ce faisant, elle ne fait que souligner encore et encore que pour autant qu'on essaie d'accéder à la vérité de l’homme lui-même, soit l'effort restera à l'état de tentative frénétique de remettre de l'ordre dans les pièces du puzzle, au mieux, soit, dans le pire des cas, il sera monétisé. En somme, Franz se pose en tentative amusante de briser la représentation monolithique qu'on a de l’auteur tchèque, mais le film n'est hélas jamais aussi subversif qu’il le souhaiterait.
Franz est une coproduction entre la République tchèque, l’Allemagne et la Pologne qui a réuni les efforts des sociétés Marlene Film Production, X Filme Creative Pool et Metro Films. Les ventes internationales du film sont gérées par Films Boutique.
(Traduit de l'anglais)
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