SAN SEBASTIAN 2025 Compétition
Critique : Six jours, ce printemps-là
par Aurore Engelen
- Joachim Lafosse présente son 11e long métrage, un drame délicat qui questionne le retour à la case départ de l’assignation à la classe sociale quand l’amour prend fin

Avec son nouveau film, Six jours, ce printemps-là, le cinéaste belge Joachim Lafosse est de retour en compétition au Festival de San Sebastian trois ans après y avoir présenté Un silence [+lire aussi :
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Sana (Eye Haïdara) enchaine les boulots, toujours en mouvement, devant un ordinateur le jour, derrière un comptoir le soir, quand elle n’est pas dans sa cuisine pour assurer la logistique ménagère de son foyer de mère célibataire. Quand Jules (Jules Waringo), son nouvel amoureux, lui suggère de le rejoindre avec ses jeunes jumeaux (Leonis et Teodor Pinero Müller) pour les vacances, elle accepte. Mais la proposition du jeune homme tombe à l’eau à la dernière minute. Désolée à l’idée de priver ses fils de vacances, elle se laisse convaincre par leur idée, aussi fragile soit-elle : s’installer dans la résidence secondaire de leurs grands-parents paternels sur la Côte d’Azur, à leur insu. L’alarme qui résonne quand ils entrent dans la maison ne sera que le premier coup de semonce d’une semaine placée sous tension.
"On n’a pas le droit d’être là," martèle Sana, qui prohibe l’usage de l’électricité, de l’eau courante, les sorties à la plage et les tours en Mehari. Leur présence est un secret, comme la relation d’ailleurs de Sana et Jules. Difficile cependant de cacher des enfants de dix ans, plein de fougue et d’entrain. Les accrocs se multiplient, chaque contact avec le monde extérieur est une mise en danger. Alors que les enfants ne semblent pas douter de leur appartenance au lieu comme à la famille de leur père, Sana voit resurgir le souvenir d’une illégitimité, la sensation de ne pas faire partie du même monde, d’y être, plus que jamais une intruse. Comme si le temps révolu du couple n’avait été qu’une parenthèse trompeuse.
Si l’on retrouve dans Six jours, ce printemps-là certains des marqueurs forts du cinéma de Joachim Lafosse (la cellule familiale comme lieu possible d’aliénation, les rapports de domination au sein du couple, un goût aussi pour les scènes de voiture, lieu clos propice aux épanchements), le film surprend par sa propension à éviter la crise, dont le surgissement pourtant affleure sans cesse. Si la tension est bien réelle, le récit joue de nos attentes et des enjeux dramatiques rendus possibles par le risque que prend Sana. Sur ce fil du rasoir, Eye Haïdara marche droite. C’est un cinéma de petits riens, de gestes évités, de regards détournés, dont elle trouve la juste mesure. Cette trame volontairement ténue laisse la place aux interrogations, les assignations de classe, l’illusoire mobilité sociale et le déclassement, le droit universel à la beauté. Et la volonté, coûte que coûte, de ne pas se laisser confisquer la joie de regarder la mer.
Six jours, ce printemps-là est produit par Stenola Productions (Belgique), et coproduit par Les Films du Losange (France), Samsa Film (Luxembourg) et Menuetto (Belgique). Les ventes internationales sont assurées par Les Films du Losange, qui orchestrera également la distribution française du film prévue le 12 novembre prochain. Le film sortira quelques semaines plus tard en Belgique, le 10 décembre, sous la houlette de Cinéart.
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