Critique : Différente
par Fabien Lemercier
- Jehnny Beth brille dans un film généreux et pédagogique de Lola Doillon sur la complexité de l’existence pour une autiste non-diagnostiquée

"Je n’aime pas changer mes habitudes, je vérifie toujours mille fois les choses, je n’aime pas beaucoup les gens, je suis trop franche, hypersensible à la lumière et au bruit, souvent épuisée, et je ne comprends pas le second degré." Pour Katia, la protagoniste trentenaire de Différente, le 4e long métrage de Lola Doillon (révélé en 2007 à Cannes, à Un Certain Regard, avec Et toi, t’es sur qui ? [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film]), sorti fin juin en France et projeté aujourd’hui au Festival do Rio (dans le cadre de l’initiative Europe! Voices of Women+ in Film de l’European Film Promotion), le quotidien, qu’il soit personnel ou professionnel, n’est pas de tout repos et il ne l’a jamais été. Et pour cause : la jeune femme est autiste, mais elle ne le sait pas, ayant toujours réussi à s’adapter et à camoufler tant bien que mal ce que les psychologues lui ont systématiquement présenté comme des manifestations de dépression et d’angoisse dont aucun médicament n’a jamais réussi à venir à bout.
En s’attaquant, sans verser ni dans le drame total ni dans la comédie décalée, à ce sujet sensible ayant déjà donné lieu à plusieurs variations cinématographiques (notamment le célèbre Rain Man), Lola Doillon affiche très clairement sa volonté de donner de la visibilité et de l’information sur la prise en charge très lacunaire en France de l’autisme. Cet éclairage, la cinéaste (qui a également écrit le scénario) le met en place dans le sillage de Katia (une excellente Jehnny Beth), documentaliste dans une société de production audiovisuelle basée à Nantes, un poste très en-dessous du niveau professionnel auquel ses études la prédestinaient (au grand regret de sa mère incarnée par Mireille Perrier). Par hasard, sa route va croiser celles de spécialistes de l’autisme et déclencher en elle le désir d’enquêter davantage. En effet, les symptômes de ce trouble affectant la façon dont les personnes communiquent et interagissent avec leur environnement résonnent en elle avec énormément d’acuité.
En centrant l’intrigue sur la relation amoureuse entre Katia et Fred (le sympathique Belge Thibaut Evrard), le film offre une dimension humaine et "légère" à une thématique on ne peut plus sérieuse, un coup de projecteur sur le spectre de l’autisme abordé de manière très détaillée (le sentiment d’être en représentation face aux autres sauf avec les proches, l’impression d’un manque d’authenticité, le manque de vie sociale, la grande pénibilité à faire du "small talk", le besoin de rester chez soi dans un lieu rassurant, celui d’avoir des routine très strictes car l’angoisse de l’imprévu peut envahir très violemment, l’immense appétit de connaissance, la grande franchise). Une approche pédagogique et sans jugement qui fait à la fois l’intérêt du film et son relatif talon d’Achille par sa dimension programmatique. Comment exprimer son amour ? Par quels biais faire accepter sa pathologie par ses proches ("j’accepte ton côté antisocial, mais jusqu’à un certain point. On ne peut pas vivre tout le temps reclus comme si les autres n’existaient pas") ? Doit-on la cacher au monde ou l’assumer ouvertement ? Et quid d’avoir des enfants avec le risque génétique afférent ? Autant de questions que Différente traite avec bienveillance et une forme d’optimisme (les autres sont aimants) sans néanmoins masquer les inévitables difficultés au jour le jour et la solitude intérieure qui peut en découler. Mais le soulagement, comme le souligne le film, commence par l’identification de son comportement singulier et le fait de se sentir enfin soi-même.
Différente a été produit par Ping & Pong Productions et par Agat Films. Be For Films pilote les ventes internationales.
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