Critique : Left-Handed Girl
par Olivia Popp
- Shih-Ching Tsou livre un premier long-métrage palpitant et turbulent où elle nous offre une virée charmante et colorée à travers le Taipei d'aujourd'hui vu à travers le regard de plusieurs générations

Un portrait de Taipei en pays des merveilles kaléidoscopique : c'est, assez littéralement, ce que propose Left-Handed Girl, le triomphal premier long-métrage en solo de la réalisatrice américano-taïwanaise Shih-Ching Tsou, avant tout connue comme fidèle productrice des films de Sean Baker, l'auteur d'Anora (en particulier de Starlet, Tangerine, The Florida Project et Red Rocket), et on sent bien sa patte dans sa manière de représenter les enfants, accessible mais sincère, tout en permettant au spectateur de découvrir ou redécouvrir la capitale taïwanaise de telle façon qu'il aura immédiatement envie d'y partir en voyage.
Ici, Tsou rend compte de l'aspect cérémoniel et de l'élément patriarcal de la famille au sens large, particulièrement dans le contexte taïwanais, avec précision, humour et beaucoup d’émotion. Après une première applaudie à la Semaine de la critique de Cannes, en mai, Netflix a acheté les droits de Left-Handed Girl pour de nombreux pays du monde, où il sera disponible en streaming à partir du 28 novembre. Le film est récemment devenu le candidat taïwanais pour les Oscars 2026 (lire l’article) et il a reçu une mention spéciale dans la compétition longs-métrages du Festival de Zurich (lire l'article).
Shu-Fen (une excellente Janet Tsai) rentre à Taipei, après avoir vécu ailleurs à Taïwan, pour ouvrir un stand de nouilles dans un marché de nuit très animé. Elle fait de son mieux pour joindre les deux bouts en tant que mère célibataire de deux filles : I-Ann (Shih-Yuan Ma), qui a passé l'âge du lycée et trouve du travail dans une boutique de noix de bétel (où elle doit porter des vêtements aguichants pour engager les hommes salaces à acheter cette substance psychoactive qui génère une forte dépendance), et I-Jing (Nina Ye), 5 ans, curieuse de tout et d'une candeur adorable. Tandis qu’on assiste aux efforts quotidiens de la mère et de son aînée, toutes deux farouchement indépendantes (ce qui donne lieu à de nombreuses disputes), c'est le regard d'I-Jing qu'on adopte le plus souvent, donc celui d'une fillette catapultée dans un univers encore inconnu plein de lumières éclatantes, d’endroits nouveaux où errer et de personnes nouvelles à rencontrer.
Ce sont les parents de Shu-Fen qui sèment la zizanie, entre sa mère qui trafique des passeports (et gagne des tonnes d’argent en amenant des gens illégalement aux États-Unis) et son père qui, affolé de constater qu'I-Jing est gauchère, amène la gamine à paniquer à cause de sa "main du diable". Leur présence injecte une dose supplémentaire d’humour dans ce drame mâtiné de comédie où Tsou fait éclater la structure plus mesurée du reste de l'histoire avec un dénouement explosif centré sur la folie des familles taïwanaises. Le cours des événements (qui fait plus l'effet d'un train lancé à pleine vitesse) peut parfois paraître trop riche en action, mais Tsou parvient à ce que les histoires des trois personnages principaux ne soient jamais négligées en tissant habilement son récit autour d'elles.
Ceci étant dit, c'est vraiment la photographie de Ko-Chin Chen et Tzu-Hao Kao qui fait que le film se démarque. La caméra (iPhone ou grand angle) chemine littéralement avec I-Jing, à sa hauteur, avec juste assez d'entrain bondissant pour qu'on ait l’impression de faire le parcours dans le même esprit que la petite fille, mais de manière fluide, assez agile pour traverser les ruelles de la ville en suivant le rythme de la musique, vivace et guillerette. Quand les deux sœurs filent à toute vitesse sur la mobylette d'I-Ann, les lumières de Taipei étincellent et luisent avec la vivacité d'une guirlande à LED. Dans Left-Handed Girl, la part de drame, plus éprouvante, laisse de la place à la belle récompense que sont ces images. Pour le dire simplement, ce film est un régal pour les yeux.
Left-Handed Girl a été coproduit par Le Pacte (France), Good Chaos (Royaume-Uni) et Left-Handed Girl Film Productions Company (Taïwan/États-Unis).
(Traduit de l'anglais)
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