Critique : Silver
par Martin Kudláč
- Natalia Koniarz propose un parcours immersif et sans fioritures de la vie dans la communauté minière de Cerro Rico, en Bolivie, où travail, pauvreté et religion sont intimement liés

Le documentaire Silver, de la cinéaste polonaise Natalia Koniarz, vient de remporter plusieurs prix, dont le premier, dans le cadre de la compétition principale Opus Bonum du Festival international du documentaire de Jihlava (lire l'article). Ce film tourné au cœur du Cerro Rico, la montagne argentifère qui surplombe Potosí, dans les Andes boliviennes, s'intéresse à une communauté autochtone dont l’existence dépend de l’écosystème fragile de la mine, des gens pour qui travail, pauvreté et religion s'enchevêtrent à intervalles réguliers.
Koniarz mêle observation et contemplation pour dresser un tableau de la vie sur cette montagne : les hommes qui cherchent des filons d’argent dans des tunnels impossiblement étroits, les enfants à qui on enseigne la vigilance et l’autodéfense à l’école, les familles qui pleurent des êtres chers qui ont péri dans les mines. À travers ces fragments, Koniarz compose un riche portrait d’une communauté conditionnée par les activités d’extraction, apparentes sur le corps immense de la montagne comme dans le quotidien de ceux qui en dépendent pour gagner leur vie.
Pour rendre compte de cette expérience collective, Koniarz suit plusieurs membres de la communauté. Au labeur exténuant des mineurs travaillant dans les entrailles de la terre fait pendant la perspective de Juvi, douze ans, qui joue avec des poules et va à l’école, mais qu'on initie déjà au métier de mineur. Sa présence ajoute une dimension générationnelle au film qui refléte la continuité du travail minier, la manière dont il se transmet de père en fils malgré les dangers qu’il comporte.
Silver s’ouvre sur des images saisissantes de la montagne et de ses pentes tristes et fissurées avant de descendre dans les galeries de la mine. À première vue, le film rappelle d’autres documentaires traitant de l’exploitation d'une main-d’œuvre locale dans des conditions dangereuses liées aux chaînes d’approvisionnement mondialisées, mais Koniarz évite toute approche didactique ou militante. Au lieu de cela, elle s’immerge dans la communauté, elle en observe silencieusement les rythmes et les rituels, tous tournés autour de la mine.
Le film va au-delà de la constitution d'archives sociales pour réfléchir aux conséquences du fait de vivre et de mourir autour de mines. Il décrit le cycle transgénérationnel qui perpétue l’activité minière, en en saisissant à la fois la nécessité et les sacrifices qu’elle exige. La structure de Koniarz s’appuie sur une mosaïque de moments intimes et collectifs qui, mis ensemble, rendent compte d'un écosystème délicat qui ne peut exister sans ces rudes conditions.
L’héritage du colonialisme n’est pas évoqué par des commentaires, mais par la répétition de gestes et routines rejoués à l’infini. Une scène de classe, où des enfants récitent des vers patriotiques dédiés à la montagne, est suivie par une séquence où ils descendent dans les boyaux qui ont englouti leurs pères, ou les engloutiront à leur tour, tandis que les survivants prient le ciel.
La monteuse Yael Bitton donne au film un rythme mesuré, alternant entre la clarté de la vie à l’air libre et l’obscurité oppressante du sous-sol, pour aboutir à une représentation cohérente d’une communauté édifiée sur des siècles d’extraction, activité dont dépend encore le monde numérique contemporain. Le directeur de la photographie Stanisław Cuske (également primé à Jihlava pour son travail) met l’accent sur la matérialité et la texture : la poussière, la sueur et la rugosité de la roche. Sa caméra s’attarde sur la beauté austère du paysage et les intérieurs crépusculaires trouvés dans les mines, observant sans s’immiscer. L’absence de commentaire ou d’interviews renforce l'élément immersif de cette approche observationnelle, qui fait de Silver un tableau portrait brut, sans fioritures, de l’industrie mondiale et de son impact sur une communauté locale.
Silver a été produit par Telemark Sp z oo (Pologne) en coproduction avec Piraya (Norvège) et IV Films (Finlande). Les ventes internationales du film sont assurées par KFF Sales & Promotion.
(Traduit de l'anglais)
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