Critique : Another Man
par Savina Petkova
- Dans son premier long-métrage en catalan, David Moragas, nominé pour le Prix Gaudí, suit les hauts et les bas d'une relation queer de long terme

Quand un bel inconnu emménage dans l'immeuble d'en face, son balcon à hauteur de vos yeux, très visible, on ne peut s’empêcher de le regarder du coin de l’œil. C'est du moins le cas pour Marc (Lluís Marquès), qui a tout l'air de chercher des distractions quand il vit par ailleurs la parfaite relation de couple avec Eudald (Quim Àvila), plus extraverti. Cela fait six ans qu'ils sont ensemble, et pourtant rien entre eux ne donne l'impression de s'être tari ou juste installé. Du reste le nouveau film du scénariste-réalisateur David Moragas, Another Man, qui a fait sa première mondiale dans le cadre de la compétition internationale Meet the Neighbors du 66e Festival international de Thessalonique, établit d’emblée la riche alchimie qui existe dans leur couple, quand leur temps de lecture à deux se transforme en une séance de sexe passionné. Six ans après le début d’une relation a priori excitante et aimante, Eudald propose de quitter le chaleureux appartement où ils vivent, à Barcelone, pour aller s'installer dans une maison plus grande à la campagne, une proposition qui angoisse Marc, dont le regard oscille entre la fenêtre et le balcon du voisin.
Ce premier long-métrage de Moragas en catalan, après le film en anglais A Stormy Night [+lire aussi :
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fiche film], nominé en 2021 pour le Gaudí du meilleur montage, réunit des visages familiers du cinéma local : aux côtés de Marquès (Chavalas [+lire aussi :
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fiche film]) et Avila (Burning Body), on trouve aussi Bruna Cusí, (qui jouait l'héroïne dans Été 1993 [+lire aussi :
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interview : Carla Simón
fiche film] de Carla Simón) dans le rôle de Marta, la sœur de Marc, toujours à cran bien qu'elle semble elle aussi tout avoir. C'est que le modèle de la famille nucléaire n’offre à aucun des deux la stabilité qu'on pourrait supposer : Marta est désemparée d’être de nouveau enceinte et quant à Marc, son instinct est de fuir au lieu de se poser pour de bon avec son compagnon. Pendant le plus gros du film, ce sont les autres qui ont des avis assez tranchés sur ce que devraient ou ne devraient pas être les relations de couple, sur l’homosexualité, sur l’hétéronormativité, et si les conseils qu'ils égrènent alors qu'on ne leur a rien demandé n'atteignent pas vraiment Marc, le scénario fait peu à peu monter une tension qui laisse prévoir que quelqu’un va finir par craquer sous le poids de ces attentes.
Bien qu’annoncé comme une comédie romantique doublée d'un drame, Another Man a du mal à trouver ses marques en essayant de balayer tout l'éventail d'attitudes des personnages face aux relations gays (et certaines relations hétéros). Que Moragas aime ses personnages ne fait aucun doute, jusqu'à leur donner aussi la liberté de se montrer aussi incohérents, déboussolés et désirants que n'importe quel être humain peut l'être dans la vraie vie, mais le chaos ne suffit pas, et les nœuds dans lequels s'enchevêtrent les désirs en jeu dans le film restent trop lâches. Le séduisant voisin (José Cerda) n’existant que comme projection, il se voit refuser toute réplique, mais sa présence n’est pas assez convaincante pour influer sur l'intrigue comme on pourrait l'attendre dans une comédie dramatique romantique.
Ce n'est pas à dire que le cinéaste catalan aurait dû suivre le cahier des charges d'un genre cinématographique spécifique, mais les scènes d’explosions émotionnelles paraissent un peu molles, dénuées du panache dramatique qu'elles auraient pu avoir. Cette approche tempérée tient sans doute au souci de Moragas d’éviter les représentations clichées de l'identité (et à cet égard, il s’en sort bien), mais il y aurait tellement plus à tirer de ces silences tendus et du besoin silencieux de quelque chose de plus que Marc sent en lui – l’amour et la découverte de soi ne vont pas toujours de pair, mais parfois, tout ce dont un couple a besoin, c’est d’un rival imaginaire, d’un triangle amoureux inventé de toutes pièces, pour secouer le joug de la normativité et repartir à zéro.
Another Man a été coproduit par Oberon Media (Espagne), Monstro Films (Mexique) et Un altre home AIE, en collaboration avec 3Cat. Les ventes internationales du film sont gérées par Filmax.
(Traduit de l'anglais)
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