Critique : My Father's Scent
par Camillo De Marco
- Le premier long-métrage de fiction de l’Égyptien Mohamed Siam est un drame familial intense qui interpelle de manière critique les racines des valeurs conventionnelles

Le premier long-métrage de fiction de l’Égyptien Mohamed Siam, auteur de l’ambitieux documentaire Amal [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film] (qui suivait une adolescente avec en toile de fond les manifestations de la Place Tahrir et avait fait l’ouverture de l'IDFA en 2017), est drame familial intense. Dans My Father's Scent [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Mohamed Siam
fiche film], qui a remporté le Grand Prix et le Prix Cineuropa à la 25e édition de Cinemamed, Siam propose un regard critique sur son pays, moins frontal mais non moins acéré, filtré par le thème universel de la relation conflictuelle qui peut exister entre un père et son fils.
L'histoire se passe à Alexandrie à la veille de lʿaïd al-Adha, la fête islamique au cours de laquelle on abat des moutons en signe de sacrifice – une image métaphorique qui revient dans les dialogues et dont les implications, en regard de l’immolation des liens affectifs, constituent le cœur du film. Le vieil Omar (Kamel El Basha), veuf, rentre de l’hôpital après avoir passé six mois dans le coma, accompagné de son fils aîné Ali (Abed Anani), son préféré, qui a un emploi stable et une famille. Omar est confié aux soins du fils cadet, Farouk (Ahmed Malek), avec lequel il entretient une relation pour le moins houleuse. Après la mort de la mère, Farouk, qui promettait pourtant d'avoir un bel avenir, a abandonné ses études universitaires en pharmacie, s’est replié sur lui-même, a commencé à prendre des drogues et a même tenté de se suicider. Sa colère, sa frustration et son chagrin d'avoir perdu sa mère se sont déversées sur son père. De son côté, Omar blâme son fils, dit qu'il a gâché son existence et l’accuse de mal gérer la boutique d’articles de chasse et de pêche qu’il lui a confiée (et que le jeune utilise comme point de vente de kétamine), en plus de fréquenter une fille que le vieil homme qualifie, sans mâcher ses mots, de “traînée”.
Le lendemain matin, le vieil homme est retrouvé mort. À partir de là, le film rembobine les faits pour nous montrer ce qui s’est passé au cours des 24 heures qui ont précédé ce décès. C’est une sorte de duel qui se déroule essentiellement dans les différentes pièces de la vieille maison d'Omar, comme un drame théâtral, avec seulement quelques brèves digressions quand Farouk sort de chez lui pour rencontrer ses “clients” ou sa petite amie Sara (Mayan El Sayed) et, pour finir, une traversée nocturne de la ville, en voiture, pendant laquelle se joue un face-à-face qui fait ressurgir des souvenirs dramatiques, des accusations (Farouk reproche à son père d'avoir été absent et violent) et de vieux secrets. Siam (qui a étudié le cinéma au Caire, à Paris et à New York et a obtenu des bourses internationales du Sundance Institute, du CNC, du DFI et de Venice Final Cut) fait preuve d’une remarquable maîtrise dans la composition des espaces, avec des mouvements de caméra réduits au minimum, une grande précision dans les choix de mise en scène et une grande sensibilité dans la direction des deux acteurs principaux, le Palestinien El Basha (Coupe Volpi du meilleur acteur à Venise pour L'Insulte [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Ziad Doueiri
fiche film]) et Malek, qui un des acteurs égyptiens les plus prisés de sa génération, connu non seulement au Moyen-Orient mais également en Occident (on l'a notamment vu dans la peau du serveur Musa, dans la série britannique Boiling Point [+lire aussi :
critique
fiche série]).
Les deux comédiens, enveloppés dans les couleurs pastel de la photographie d'Omar Abou Douma (qui joue aussi de la diffraction des lumières de la ville dans les gouttes de la pluie incessante qui baigne l'ensemble, en symbole du besoin de purification), livrent une performance magnifique, qui interroge de manière critique les racines des valeurs familiales conventionnelles, dévoile les dynamiques de domination qui découlent du système patriarcal, explore les tensions et les contrastes entre les générations et place aussi au centre le parcours complexe et douloureux vers la réconciliation. Le scénario écrit par Ahmed Amer avec le réalisateur ne cherche pas à rendre compte d'une évolution à proprement parler des personnages, et il évite les coups de théâtre destinés à faire forte impression : il préfère s'enfoncer dans la complexité des sentiments familiaux décrits par de légers dévoilements successifs, à travers des dialogues désabusés et empreints d’une ironie amère. Les références à la situation sociale du pays sont visibles (Sara est une jeune femme intelligente et libre, sauf qu’elle doit se couvrir avec le hijab et enlever son rouge à lèvres avant de rentrer chez elle, dans une famille que Farouk qualifie de “fanatique”), mais l’intention profonde est de rendre le récit paradigmatique comme si le film distillait toute la tendresse filiale du monde dans un vieux flacon d’eau de Cologne (pourrait-on dire en se référant au titre arabe du film). Ce n’est d'ailleurs pas un hasard, si le réalisateur dédie le film “à tous les pères”.
My Father's Scent a été produit par ArtKhana (Égypte) en coproduction avec DUOfilm (Norvège), B-retta Films (Suède) et Arizona Films (France). Les ventes internationales du film ont été confiées à Film Clinic Indie Distribution.
(Traduit de l'italien)
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.


























