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Des télévisions de gouvernement
au système dual

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En Espagne, la télévision créée en 1956 relevait du secteur public, contrairement à la radio partagée avec les opérateurs privés. Economiquement autonome, financée quasi exclusivement par ses recettes publicitaires, la RTVE est politiquement contrôlée par le gouvernement qui nomme ses dirigeants. La loi du 10 janvier 1980 réaffirme ce monopole sur la télévision nationale, tout en prévoyant la création d'un troisième réseau régional qui sera confié en décembre 1983 aux Régions Autonomes. Cependant la dépendance par rapport au pouvoir politique reste forte : les Parlements des régions désignent les Conseils d’administration gérant les télévisions publiques mises en place (1) et l’exécutif régional nomme les Directeur généraux des chaînes.
En 1982, la Haute Cour de justice juge la télévision privée commerciale compatible avec la Constitution et précise que c’est au pouvoir politique d’organiser l’ouverture du secteur à la concurrence. Il faudra pourtant attendre la loi du 3 mai 1988 pour assister à la création de trois chaînes privées nationales attribuées l’année suivante à Antena3 et TeleCinco pour une diffusion en clair, et à Canal+Espagne (opérateur à péage). Depuis leur naissance, le capital et la programmation des deux chaînes privées en clair ont connu de grands changements, notamment en raison des graves difficultés financières qui n’ont pas épargné non plus la télévision publique RTVE, exclusivement financée par la publicité et en déficit depuis 1990. Compression de personnel, économies de gestion, ventes d’actifs (2), agressivité commerciale et subventions n’ont pas permis à la RTVE d’assurer son financement sans recourir à l’emprunt, au prix d’une dette de près de 4 milliards d’euros fin 2001. Affectées par les mêmes problèmes financiers, les six télévisions publiques régionales ont vu pourtant leurs audiences augmenter, ce qui démontre l’attachement des téléspectateurs espagnols aux chaînes de proximité.

En France, la télévision naissante fut gérée par Radiodiffusion Française et placée sous l'autorité du président du Conseil jusqu’en 1959 et la mise en place de Radiodiffusion Télévision Française, établissement public d'Etat à caractère industriel et commercial, sous la tutelle du ministre de l'Information. La réforme de 1964 avec la création de l’ORTF et le démarrage de la seconde chaîne en couleur est un tournant. Mais l’ORTF est gérée par un conseil d'administration aux pouvoirs encore limités et la télévision demeure sous la coupe du gouvernement. La crise de mai 68 donne la parole aux partisans de la limitation du monopole de l'Etat à la diffusion et à la programmation, et aux tenants de l’ouverture de la production à la concurrence. En 1972, l'autonomie de l’ORTF est renforcée avec une plus grande indépendance de ses dirigeants, l'allégement de la tutelle de l'exécutif, une meilleure cohérence des contrôles du Parlement et la modernisation des structures de l'Office(3). Deux ans plus tard, le désengagement progressif de l’Etat se confirme avec l’introduction d’une forme de concurrence interne au sein du service public par l’éclatement de l’ORTF en sept organismes(4). Cependant, le monopole de la radiotélévision publique est verrouillé par la nomination de ses dirigeants par le gouvernement et par de fortes contraintes pour les nouvelles sociétés, par exemple l’obligation de passer commande à la SFP.
L'ouverture au marché et à la concurrence est encadrée par une série de lois et de réformes qui ont conduit à une sur-règlementation du secteur.
1. La loi de 1982 reconnaît le droit à l'existence des radios et des télévisons privées mais maintient le monopole de l'Etat sur l'usage de fréquences radioélectriques.
2. La loi de 1986 affirme la liberté de la communication et renforce la séparation de l'Etat et des acteurs de l'audiovisuel en confiant à une autorité administrative indépendante (CNCL) la gestion des fréquences et les autorisations d’installation d’équipements privés.
3. La loi de 1989, renforce les compétences de l’instance de régulation, le CSA (ex CNCL). Les «autorisations d'usage des fréquences» qu’elle délivre aux opérateurs privés sont assorties de conventions et il lui est confié une mission de surveillance du secteur public.
Le paysage audiovisuel français(5) demeure donc sous la surveillance étroite de la puissance publique. Néanmoins, face à la concurrence du secteur privé(6), la télévision publique se révèle fragile car elle est éclatée entre cinq opérateurs nationaux(7). Cette faiblesse structurelle sera partiellement compensée en 1989 avec la création d’une présidence commune pour France 2 et France 3 qui gardent cependant chacune un conseil d'administration et une organisation autonome. Enfin, la naissance en août 2000 du holding France Télévisions (France 2, France 3 et France 5) et la signature fin 2001 d’un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens entre France Télévisions et l’Etat, incluant les développements numériques, donne un nouveau dynamisme au service public.

En Italie, la convention du 26 juin 1952 donne pour vingt ans à la Rai, (qui a repris les actifs de l’EIAR) la licence exclusive de diffusion des émissions de radio et de télévision hertzienne. Malgré son statut de droit privé, la Rai détenue par l’IRI (Institut de Reconstruction Industrielle) est contrôlée par le gouvernement qui désigne ses dirigeants. Ecartée de l’antennes, l’opposition saisira en vain la Cour constitutionnelle. A l’expiration de la concession en 1972, le gouvernement réagit au mouvement d’opinion dénonçant le monopole de la Démocratie Chrétienne sur la RAI et ne reconduit la convention que pour un an, en s’engageant à adapter la radiodiffusion publique. Mais c’est la Cour constitutionnelle qui accélère le cours des évènements en juillet 1974, en rappelant que le monopole de la RAI doit permettre des émissions objectives, une information complète et le droit d'accès pour tous à la télévision. Contraint à l’action, le gouvernement transfère en novembre 1974 la tutelle de la Rai à la «Commission parlementaire d'orientation générale et de surveillance des services de radiotélévision» (8) et essaye de préserver le monopole en l’étendant aux transmissions nationales par câble ou tout autre moyen(9). La Cour constitutionnelle va refuser cette extension en juillet 1976, limitant le monopole de la Rai à la diffusion hertzienne nationale et reconnaissant la légitimité des télévisions et radios privées locales, quel que soit le moyen de diffusion.
Les télévisons locales vont alors se multiplier en dehors de tout contrôle réel (150 stations en 1977, 1208 en 1985) et s’organiser en réseaux comme ceux des groupes d'édition Rusconi, Mondadori et Rizzoli. Silvio Berlusconi constitue alors son empire télévisuel : après TeleMilano devenu la première télévision privée de Milan, le réseau Canale5 constitué en 1980 (dix stations du nord-est), puis le réseau Rete10 (dix stations du centre), il achète entre 1981 et 1984 la cinémathèque de Rizzoli, les 23 stations de Ruconi et les 26 de Mondadori. Fort de ses trois réseaux, Canale5, Rete4 et Italia1, Silvio Berlusconi se lance dans «la bataille de l'interconnexion» pour pouvoir concurrencer la RAI et briser l’interdiction aux télés locales de diffuser simultanément le même programme sur plusieurs émetteurs(10). Le gouvernement Craxi lui donne satisfaction en autorisant provisoirement les réseaux privés à diffuser simultanément des émissions préenregistrées (loi du 4 février 1985). Et cette nouvelle concurrence va coûter cher à la RAI qui s’endette lourdement (7,3 milliards de francs en 1989) pour maintenir son audience à 49,3 pour cent en 1991. Pendant ce temps, la Fininvest de Berlusconi devient la troisième entreprise italienne, derrière FIAT et Ferruzi.
Tous ces bouleversements du paysage audiovisuel italien s’étant déroulés aux frontières de la légalité, la loi Mammi du 6 août 1990, officialise la situation existante. Bien que le législateur ait autorisé 12 chaînes nationales(11), les trois chaînes publiques de la RAI et les trois chaînes de la Fininvest se partagent 90 pour cent des téléspectateurs et 91 pour cent des revenus publicitaires.
Cette loi de circonstance n’a pas clarifié l’organisation de la Rai, tiraillée entre des tutelles internes et externes aux compétences entrecroisées(12), un véritable handicap pour un service public en situation concurrentielle. En l’absence d’une nouvelle loi sur la communication audiovisuelle, sans cesse reportée depuis 1998, la Rai s’est efforcée d’adapter ses structures au marché, en développant notamment des activités commerciales complémentaires comme elle est autorisée à le faire depuis le référendum de 1995.
Quant à la loi antitrust du 29 juillet 1997 n’a pas eu d’effet sur l’organisation de la concurrence. Elle limite pourtant un diffuseur national à 20 pour cent maximum des fréquences nationales et à 30 pour cent des revenus de la télévision (redevance et publicité). Et l’application de ces dispositions il réduirait à deux le nombre de chaînes nationales que peuvent détenir la Rai et Mediaset. Ainsi Rete4, une chaîne de Mediaset(13) propriété de Silvio Berlusconi, pourrait passer sur le satellite, et Rai 3 être régionalisée et financée exclusivement par la redevance. Mais rien n’est encore décidé alors que se pose actuellement la question du respect du pluralisme puisque le Premier ministre italien contrôle les trois principaux réseaux télévisuels privés. La constitution d’un troisième pôle audiovisuel(14) serait-elle une solution ? Rien n’est moins sûr car jusqu’à présent la multiplication d’opérateurs commerciaux ne s’est jamais révélée une garantie de pluralisme.

En Grèce, la première chaîne publique de télévision ET créée en 1966, est confrontée deux ans plus tard à la concurrence d’une seconde chaîne ET 2, gérée par le service de l'information de l'armée qui a pris le pouvoir. En 1982, ces deux chaînes se regroupent au sein d’un organisme public (ERT) contrôlé par le Ministre de l'information qui dispose d’un bureau au siège de la télévision. Ce monopole de radiodiffusion s’effrite en 1986 avec le lancement de radios commerciales «pirates» par les municipalités d’opposition d’Athènes, de Thessalonique et du Pirée. Le gouvernement tente sans succès de réaffirmer le monopole de la radiodiffusion publique par la loi du 27 octobre 1987, inspirée du modèle français de l'ORTF, regroupant les deux chaînes de télévision et les quatre réseaux de radio dans une société anonyme à capitaux publics, l'ERT. Cette réforme ne réussit pas à éviter l’explosion de radios, puis de télévisions commerciales ‘sauvages’ bénéficiant du soutien politique de l’opposition. En effet, l’indépendance de la radiotélévision publique est purement formelle : le président et les sept membres du Conseil d'administration sont désignés par le gouvernement. La création du Conseil National pour la Radiotélévision (CNR) en 1989 et le renforcement de ses pouvoirs en 1993 n’auront aucun effet, l’organisme n’ayant pas les moyens d’organiser la concurrence entre opérateurs publics et privés.
Malgré la réforme de 1994 qui a amélioré le financement de l’ERT(15), l’audience de la télévision publique n’a pas résisté à la concurrence anarchique du privé et à la perte de confiance des téléspectateurs qui l’ont toujours assimilée à un instrument des gouvernements successifs. En 1999, une quarantaine de chaînes diffusaient dans la région d’Athènes et une centaine dans le reste du pays(16) mais les budgets limités des chaînes commerciales et le manque de pression concurrentielle des chaînes ont limité le développement d’une industrie nationale de production.


1 - Les Autonomies du Pays-Basque, de Catalogne, de Valencia, d’Andalousie, de Madrid et de Galice, vont se doter de radiotélévision publique.

2 - Vente à Telefonica des 17 pour cent qu’elle détenait dans la plate-forme numérique Via Digital, cession de ses 30 pour cent de Retevison privatisé et remboursement d’un trop perçu de TVA, lui ont permis de réduire sa dette de 2,8 Mds F durant l’exercice 2000

3 - Principales dispositions de la loi du 3 juillet 1972
- Un Président Directeur Général nommé, pour 3 ans renouvelables, par décret en Conseil des Ministres et un Conseil d'administration composé pour une moitié de représentants des auditeurs et téléspectateurs, de la presse écrite et du personnel de l'Office et pour l’autre moitié de représentants de l'Etat, devait garantir l'indépendance de l’Office.
- La tutelle de l'exécutif, qui approuvait le budget, devait se limiter "à l'observation des obligations découlant du caractère de service public de l’Office et au contrôle de l'utilisation que l'Office fait de ses ressources". Un contrôleur d'Etat et la Commission de vérification des comptes des entreprises publiques s’assuraient de la bonne exécution du budget.
- Le Parlement, qui autorisait annuellement la perception de la redevance lors du vote du budget, était associé au fonctionnement de l'Office tant par la constitution d'une délégation parlementaire consultative que par sa participation à la désignation de membres du conseil d'administration.
- L’ORTF devait s’organiser "en unités fonctionnelles correspondant à un ensemble de missions et de moyens, sous forme de régies ou éventuellement d'établissements publics, à l'exclusion de toute emprise d'intérêts économiques privés". Un décret du 24-25 juillet 1972, fixera à huit le nombre de ces régies.

4 - La loi de 1974 a créé : quatre sociétés nationales de programmes, les trois chaînes de télévision TF1, Antenne 2, FR3 et la radio, Radio France ; deux établissements publics à caractère industriel et commercial, Télédiffusion de France, TDF, et l'Institut National de l'Audiovisuel, INA ; une société d'économie mixte, la Société française de Production, SFP.

5 - Les obligations de diffusion et de production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles d'expression originale française ou originaire de la Communauté et les seuils minima d'investissement dans la production d’œuvres indépendantes, satisfont à cet objectif.

6 - Canal+ chaîne hertzienne à péage autorisée en 1983, TF 1privatisée en avril 87, M6 et La Cinq autorisés en février 87, le réseau de La Cinq en faillite en avril 1990 a été réaffecté à La Cinquième et ARTE, chaînes publiques.

7 - France 2 chaîne nationale, France 3 chaîne nationale à vocation régionale, RFO pour les départements et territoires d'outre mer, la Sept/ARTE, partenaire français d'ARTE chaîne culturelle à vocation européenne née en 1990 d'une volonté politique franco-allemande qui partage le cinquième réseau hertzien national, laissé libre par la faillite de La Cinq, avec La Cinquième, chaîne à vocation éducative lancée en décembre 1994. A ces chaînes nationales il convient d’ajouter deux autres organismes pour les émissions vers l'étranger, TV5 et CFI.

8 - L’installation, le 15 mai 1975, de la Commission parlementaire d'orientation générale et de surveillance des services de radiotélévision se traduira par un partage du pouvoir entre les partis politiques, ‘la lottizazzione’ : RAI 1 va revenir à la Démocratie Chrétienne, RAI 2 au Parti Socialiste et RAI 3, qui sera lancée en 1977, au Parti Communiste.

9 - Une décision du 11 août 1975, du Ministère des Postes et Télécommunications avait attribué à la RAI la concession exclusive des services nationaux de radiotélévision.

10 - Plusieurs jugements avaient rappelé que la loi n'autorisait ni l'interconnexion technique, ni l'interconnexion des contenus.

11 - Trois chaînes seront à Tele+, télévision hertzienne à péage et un décret-loi du 13 juin 1992 attribuera les trois dernières fréquences à RETE A (Télé-achat et séries américaines), TMC-Italie alors contrôlé par Feruzzi (40 pour cent) et TV Globo-Brésil (49 pour cent) et Videomusic, ces deux dernières chaînes ont été depuis reprises par le groupe du producteur Cecchi Gori sous les marques TMC1 et TMC 2. Ces attributions n’enpécheront pas des chaînes non autorisées, comme Odéon TV, EURO TV et Italia 7 de continuer à émettre en arguant du caractère suspensif de leur appel.
En outre, sont autorisés neuf réseaux rassemblant des stations autorisées au titre des 92 fréquences régionales ou provinciales et des 478 fréquences locales.

12 - Contrôles internes du ‘Collège Syndical’, Conseil de Surveillance de la société composé de 41 membres reproduisant fidèlement les équilibres parlementaires et de son actionnaire, l'IRI, et externes du Ministère des Postes et Communications, de la Commission parlementaire d'orientation générale et de surveillance des services de radiodiffusion et de la Cour des Comptes en tant qu’entreprise publique.
A l’été 1994, le gouvernement de Sylvio Berlusconi adoptera une disposition confiant la nomination du Président de la RAI aux Présidents des deux chambres afin de limiter le contrôle direct des partis sur la Rai, réforme annulée en décembre 1995 par un amendement de la majorité de centre gauche du Parlement qui réintroduit le contrôle des partis sur la Rai.

13 - Mediaset rassemble les activités audiovisuelles de la Fininvest dont les trois chaînes italiennes Canale5, Italia1 et Rete4, regroupées au sein de RTI (Reti Televisone Italiane), la régie Publitalia, la chaîne espagnole Telecinco, Videotime centre technique et administratif de production de programmes …

14 - Dans les années quatre vingt, la Démocratie Chrétienne ayant perdu le contrôle de la Rai et étant attaquée par les chaînes de Berlusconi alors proche du Parti Socialiste de Craxi, a tenté par deux fois, de créer ce troisième pôle en encourageant les projets Odeon TV soutenue par le géant de l’agro-alimentaire Parmalat, puis TMC-Italie soutenue par la Fiat d’Agnelli.

15 - Les prélèvements effectués sur les factures d’électricité au titre de la redevance, qui finance de l’ordre de 90 pour cent le budget de l’ERT, ont été réévalués et la publicité a été supprimée sur les antennes des deux premières chaînes publiques nationales, et maintenue sur ERT 3 chaîne régionale.

16 - Quatre opérateurs dominent le marché de la télévision nationale : Antenna 1, chaîne populaire lancée fin 1989 (22, 9 pour cent de parts de marché en 1998); Mega-Channel créée en novembre 1989 (19,9 pour cent de parts de marché en 1998); Skai (15,1%) et Star (14,9 pour cent).

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