Des télévisions d’Etat au système dual
par Jean Noël Dibie
En Allemagne, le fédéralisme adopté en réaction au 3ème Reich attribue la presse au secteur privé et la radiodiffusion au secteur public, plus précisément aux Lander(1). Les principes généraux nécessaires au bon fonctionnement de la radiodiffusion sur l’ensemble du territoire national sont réglés par des Conventions ou des Traités d'Etats, et les conflits de compétence entre Lander ou avec le gouvernement fédéral, responsable des télécommunications, sont arbitrés par le Tribunal Constitutionnel Fédéral. Son «premier jugement sur la radiotélévision», dit jurisprudence ‘TV Adenauer’ du 27 février 1961, annule la décision du gouvernement fédéral de créer une seconde chaîne de télévision. La ZDF, seconde chaîne allemande voit donc le jour en 1962 grâce à une convention signée par l’ensemble des Lander.
C’est la jurisprudence du Tribunal constitutionnel qui va permettre l’introduction de chaînes privées en Allemagne. En effet, le 16 juin 1981, il remet en cause le monopole de la radiotélévision publique, sans pourtant autoriser la radiotélévision privée car la rareté des fréquences hertziennes disponibles ne permet pas le respect du pluralisme. Et c’est ainsi que se développe le câble.
Le 4 novembre 1986, le Tribunal Constitutionnel Fédéral autorise la coexistence de programmes publics et privés et enterre le principe qui régissait les médias : la presse au privé et l’audiovisuel au public. Dans la foulée, Les Länder adaptent leurs législations à l’ouverture de la radiodiffusion au secteur privé. La relative homogénéité des législations de chaque Land favorise l'adoption d'une réglementation commune, d’abord par des accords régionaux, puis en 1987 par un accord national, la Convention d’Etat sur le nouvel ordre audiovisuel.
Le respect du pluralisme par les opérateurs repose sur deux approches différentes. Le secteur public est tenu au ‘pluralisme interne’ dans la programmation de chaque chaîne. Le secteur privé lui, est soumis au ‘pluralisme externe’ garanti par la présence simultanée d’un minimum de trois chaînes de télévision dans une même zone de diffusion. Le secteur public est contrôlé par des conseils intégrés tandis que les télévisions privées sont sous la supervision des instances de régulation de chaque Länd qui leur accordent les licences(2). Cet environnement aurait pu entraîner la création d'une multitude de chaînes, mais les impératifs techniques et les contraintes financières ont joué : la rareté de fréquences hertziennes disponibles et les capacités du câble ont limité le nombre d’autorisations, et le niveau d'investissement exigé n’a permis de financer qu'un nombre limité de nouvelles chaînes(3).
Pour permettre à la télévision publique(4) d’affronter la concurrence dans les meilleures conditions, les législateurs allemands ont veillé à ce qu’elle ne soit pas soumise aux pressions du marché : la constitution a inscrit la redevance comme ‘la source principale’ du financement de la radiotélévision publique. Bien financées, les chaînes publiques allemandes ont donc maintenu un niveau d’audience significatif, mais aussi contraint les très nombreuses chaînes privées à améliorer leurs programmes. Cette réussite s’explique par la confiance du public qui trouve sur les chaînes publiques le reflet de ses préoccupations et de ses diverses cultures(5), et par le soutien des pouvoirs fédéraux et régionaux qui assurent le financement.
En Belgique, l'Institut National de Radiodiffusion créé en 1945 a tiré profit des équilibres internes imposés par le multilinguisme pour gagner une certaine autonomie vis-à-vis du gouvernement. La révision constitutionnelle de 1975 transférant la compétence culturelle aux communautés, va entraîner une évolution différente de la radiotélévision publique dans les deux communautés française et flamande.
En communauté française, l'établissement public de la radiotélévision, la RTBF voit son administrateur général nommé par l’Exécutif de la Communauté, sur proposition du conseil d’administration. En 1983, son monopole prend fin quand Télé-Luxembourg est autorisée à mettre en service un faisceau hertzien permanent entre Luxembourg et les studios de Bruxelles. Télé Luxembourg devenue RTL TVI, société de droit belge détient le monopole de la publicité télévisée jusqu’au décret du 4 juillet 1989 qui autorise la RTBF, jusqu’alors financée par la seule ressource publique, à insérer de la publicité commerciale dans ses programmes. Cette réforme n’évitera pas de graves difficultés financières pour la RTBF, car le marché de la communauté est restreint et près de la moitié des téléspectateurs regardent les chaînes câblées étrangères, principalement françaises.
En Communauté flamande, l’institut public BRTN responsable des programmes de radio et de télévision est doté en décembre 1979 d’un statut inspiré par la télévision publique néerlandaise : la moitié du temps d’antenne est notamment attribuée à des associations culturelles ou sociales. Le monopole de la BRT qui n'a pas subi la concurrence de Télé-Luxembourg, durera jusqu’à la création de la première chaîne privée VTM en 1989.
En Autriche, un référendum entérine en 1966 la création de l'ORF, un établissement public gérant la radio et deux chaînes de télévision. Le monopole de l’ORF sera étendu au câble en 1974.
Le 24 novembre 1993, une décision de justice déclare le statut de l’ORF en infraction avec le droit à la libre expression de la Convention européenne des Droits de l’Homme, et le premier janvier 1994 les radios privées sont autorisées. Dans le domaine télévisuel, il faut attendre 1999 pour assister à la création de la première chaîne commerciale autrichienne, mais la très forte concurrence des chaînes allemandes du câble et du satellite reçues par près de 60 pour cent des foyers autrichiens avait déjà entraîné la mise en place de publicités spécifiquement autrichiennes par les opérateurs allemands.
En Irlande, la télévision nationale dirigée depuis 1961 par l’établissement public RTE est confrontée à la concurrence des chaînes britanniques, ce qui laisse peu de place pour une chaîne commerciale irlandaise, pourtant autorisée par le Parlement en 1988.
En 1995, un Livre vert sur la radiodiffusion a recommandé la création d’une chaîne gaélique et la mise en place d’une instance de régulation pour la radiodiffusion publique et privée. Ce rapport a aussi préconisé la séparation de la radio et de la télévision publique.
Au Portugal, Radio Televisao Portuguesa (RTP), une Sarl créée en 1955 pour gérer la radiotélévision fut nationalisée après la révolution d’avril 1974 et la Constitution entérina son monopole. En autorisant la création de deux chaînes commerciales attribuées en 1992 à la SIC et à TVI, la loi du 7 septembre 1990 mit fin au monopole de la RTP sur la télévision. Le gouvernement répondait à des impératifs politiques, sans tenir compte de la réalité du marché publicitaire d’un pays de 9,8 millions d'habitants, incapable de financer quatre chaînes nationales. De graves difficultés financières en résultèrent, aussi bien pour la RTP principalement financée par la publicité que pour le secteur privé où SIC avait distancé TVI avant que cette dernière ne se relance en 2001 grâce la «Real TV» et de profonds bouleversements de son actionnariat.
1 - Le service public de la radiotélévision sera assuré par 9 offices publics régionaux de radiodiffusion, découpage hérité des autorisations accordées par les forces d’occupations. Afin de régler les questions techniques, juridiques, commerciales communes et de contribuer au programme commun de télévision de l'ARD1, ces 9 offices publics régionaux de radiotélévision créeront en 1950 une communauté de travail, l’ARD. En 1961, les Länder approuveront la création de la ZDF, seconde chaîne publique émettant depuis Mayence sur l’ensemble du territoire de la République Fédérale d’Allemagne.
2 - Bien qu’une autorisation donnée par un land vaille pour l’ensemble du territoire de la République Fédérale, les opérateurs se doivent d’obtenir, de chaque Land où il souhaite diffuser, une position sur le câble ou l’attribution d’une fréquence hertzienne. à charge pour eux s’ils recherchent une couverture plus large d’obtenir des licences dans les différents Länder.
3 - A la fin de 1997, du fait de la libéralisation de fréquences hertziennes, de l’extension du câble et du développement du satellite, vingt et une télévisions privées à couverture nationale partielle, et quarante cinq stations locales ou régionales, étaient autorisées en Allemagne.
4 - La télévision publique est partagée entre les dix établissements publics de radiodiffusion des Länder regroupés au sein de l’ARD, exploitant un programme national de télévision et huit programmes régionaux et la ZDF établissement public diffusant, depuis Mayence, un programme national de télévision ; la chaîne franco-allemande ARTE une chaîne satellitaire 3-SAT; deux chaînes thématiques d’accès gratuit, Phœnix et KinderKanal.
5 - l'ARD1 donne une image homogène du pays tout en reflétant le pluralisme politique et les chaînes de l'ARD 3 une vision contrastée.
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.