La Télévision Numérique de Terre, un choix de société
par Jean Noël Dibie
Nouveau moyen de diffusion, la TNT bénéficie d’une supériorité incontestable sur la télévision analogique hertzienne qu’elle est destinée à remplacer : plus de programmes, une meilleure qualité technique et une interactivité ouvrant à tous l’accès à la Société de l’information. Par ailleurs, elle favorisera la mobilité si les réseaux d’émetteurs choisis intègrent cet objectif.
Cependant, son émergence soulève plusieurs questions. Faut-il profiter de cette mutation de l’analogique vers le numérique pour réaffirmer la primauté du politique sur l’économique? Les choix techniques conditionnés par des impératifs industriels doivent-ils privilégier des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général? Comment garantir la diversité culturelle européenne dans un contexte audiovisuel dominé par la logique commerciale, la mondialisation et les mouvements de concentration horizontale et verticale des opérateurs?
L’échec des premières expériences de TNT en Grande-Bretagne, en Scandinavie et en Espagne, est riche d’enseignements. Ces tentatives qui avaient choisi les services à péage au détriment de l’offre en clair, se sont déroulées sans réflexion politique sur l’impact social de la télévision numérique.
En Grande-Bretagne, ITV Digital n’a pas évité la déroute financière malgré 1,2 millions de foyers abonnés en janvier 2002. Concurrencé par le bouquet satellitaire BskyB (totalement numérique depuis juin 2001) et ses 5,5 millions d’abonnés, ITV Digital a investi 1,5 milliard d’euros dans la distribution gratuite de décodeurs, mais sa situation n’a fait que s’aggraver avec un taux de désabonnement supérieur à 20 pour cent. Ses actionnaires, Carlton et Granada, ont donc jeté l’éponge après le refus par l’instance de régulation ITC d’une alliance avec BskyB et des repreneurs. Un abandon qui s’est produit alors que la BBC a prévu d’investir 425 M de livres par an pour un bouquet de chaînes numériques gratuites et que le gouvernement a fixé la fin de l’analogique pour 2006-2010.
En Espagne, le bouquet à péage Quiero TV, présent sur trois multiplex, a survécu à peine deux ans. Créé en mai 2000, il a cessé son activité en avril dernier, avec à peine 220 000 abonnés au compteur et une ardoise de 140 millions d’euros de pertes. Un bilan insuffisant pour lutter avec les deux bouquets satellitaires : Canal Satellite (1,1 million d’abonnés) et Digital&Via Digital (650 000). Mais depuis le 3 avril 2002, la diffusion en numérique terrestre est assurée par les chaînes hertziennes publiques (TVE 1 et La 2) et privées (Antena 3, Tele 5 et Canal+) concessionnaires d’un multiplex. La loi les a obligées à lancer la TNT dans le cadre du renouvellement de leurs licences, bien que l’industrie ne soit pas en mesure de fournir les terminaux adaptés avant 2003.
En Suède, 60 000 foyers étaient abonnés au bouquet à péage de la TNT en juillet 2001 contre 2,3 millions au câble et 850 000 au satellite. Des difficultés techniques, le coût élevé de l’équipement de réception et des programmes peu attractifs ont lourdement handicapé son démarrage. La possibilité de louer des récepteurs numériques à la société Boxer TV Acces depuis l’automne 2001 a faiblement accéléré la pénétration de la TNT qui utilise des normes différentes de celles du câble et du satellite. Aussi les pouvoirs publics envisagent d’imposer le Simulcast et de distribuer des décodeurs TNT, car tout est prêt pour tourner rapidement la page de l’analogique : les émetteurs numériques doivent couvrir 98 pour cent de la population suédoise en juin 2002.
La majorité des pays européens a déjà programmé la télévision numérique. Des expériences de TNT ont été lancées en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas où presque tous les foyers ont accès à une offre très importante par câble et satellite, mais aussi au Danemark, en France, en Finlande(1), en Norvège et au Portugal.
Outil au service des hommes, l’innovation technologique doit satisfaire l’intérêt général qui ne se réduit pas à la somme des intérêts particuliers souvent contradictoires. C’est à cette condition que la TNT réussira en tant que démocratie audiovisuelle numérique. Aussi le pouvoir politique doit apporter des réponses adaptées : faut-il accepter les objectifs des opérateurs techniques et commerciaux ou offrir à tous un meilleur service audiovisuel, permettre aux industriels de vendre de nouveaux produits ou ouvrir au grand public l’accès à la Société de l’information? De nombreux Etats ont déjà apporté des réponses en répartissant les fréquences numériques (regroupées en multiplex), entre opérateurs de services en clair et opérateurs de services cryptés à péage.
En France, le plan retenu pour la trentaine de chaînes numériques terrestres prévoit un partage à égalité entre l’offre en clair et l’offre à péage. Ce choix est celui d’une logique de service public, afin d’éviter la marginalisation progressive des programmes en clair qui priverait de télévision de qualité ceux ne pourraient pas payer. A contre-courant de l’esprit de consommation, la vision française considère que la TNT doit offrir au public une offre élargie de programmes en clair en dehors des circuits d’abonnement, sans entrer en concurrence avec la télévision analogique hertzienne qu’elle remplacera après une période de transition.
1 - En Finlande, ou la décision prise est d’interrompre l’analogique en 2006, trois multiplex ont été alloués, à compter du premier septembre 200, l’un à la télévision publique YLE et deux à des opérateurs commerciaux. Depuis août 2001, 12 chaînes sont diffusées en numériques, 4 par la télévision publique (les 2 analogiques YLE 1 et YLE 2 et deux nouvelles, l’une d’information, YLE 24, l’autre culturelle YLE Teema) et 8 par les commerciaux, dont les deux chaînes hertziennes analogiques existantes.
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