La télévision numérique, un challenge pour la télévision de service public
par Jean Noël Dibie
En Europe, le pluralisme télévisuel existe grâce à la présence relativement équilibrée d’opérateurs publics et privés. Les mouvements de concentration, à priori une menace pour la diversité culturelle, sont au contraire un atout pour les télévisions de service public. Dégagées de l’obligation de réaliser des profits pour les actionnaires comme les chaînes commerciales, les télévisions publiques doivent optimiser l’utilisation de leurs moyens pour mener à bien leur mission de rassemblement et de cohésion sociale.
Le 17 octobre 2001, la Commission européenne a entériné la possibilité d’inclure dans la définition du service public de la radiodiffusion les nouveaux moyens technologiques et les nouveaux services de la Société de l’information. En développant le numérique hertzien, les télévisions publiques garantissent le pluralisme de l’audiovisuel en évitant le monopole des opérateurs techniques et commerciaux de plates-formes. Elles contribuent aussi à l’existence d’une offre de qualité, car la concurrence de télévisions publiques performantes a toujours contraint les chaînes commerciales à maintenir leur production à un meilleur niveau, tant en volume qu’en qualité.
Pour réussir leur mission sociale et culturelle, les télévisions publiques doivent s’adapter. Fédérant tout le public, elles ont pour vocation de faire partager, grâce à la diversité des contenus, les valeurs culturelles communes à l’audience la plus large. Par ailleurs, en tant que télévisions pour tous les publics, elles vont pouvoir répondre à la demande d’informations de proximité géographique et développer des offres thématiques de proximité culturelle, en multipliant les décrochages régionaux et locaux(1).
Le projet de France Télévisions pour le numérique terrestre s’inscrit dans cette logique. Les trois canaux supplémentaires qui lui sont attribués vont lui permettre de lancer deux chaînes nationales, une réservée à l’information, l’autre à la famille, à la jeunesse et à la culture. Son offre de proximité va également s’étoffer considérablement avec huit programmes régionaux.
Les modalités de la mutation télévisuelle de l’analogique vers le numérique relève de la responsabilité de chaque Etat. Cependant, la mission de service public de la télévision implique plusieurs impératifs. D’abord, il faut assurer la continuité du service : le lancement du numérique ne doit pas priver de télévision les foyers qui ne seront pas équipés de récepteurs nouvelle-génération. Aussi les chaînes analogiques actuelles devront être diffusées simultanément en analogique et en numérique pendant une dizaine d’années (durée de vie d’un téléviseur). Il faut aussi encourager la pénétration du numérique, car seule une offre élargie en clair et de qualité, peut justifier l’achat d’un adaptateur numérique ou le remplacement d’un téléviseur. Et la télévision publique a un rôle moteur à jouer car les opérateurs commerciaux préfèreront attendre la maturation du marché pour développer de nouvelles offres. Enfin, il faut garantir le pluralisme avec des standards ouverts de codage et de navigation et de nouveaux cadres normatifs. Sinon, un nombre limité d’opérateurs imposera des conditions techniques et commerciales et contrôlera la programmation. Mais l’action législative ou réglementaire peut se révéler insuffisante car les puissants opérateurs commerciaux transnationaux sont armés de budgets et de capacités d’investissement de plus en plus importants, en particulier avec la multiplication des fusions et acquisitions. Pour rivaliser, les chaînes publiques nationales doivent acquérir une nouvelle dimension intégrant l’aspect transnational et développer de nouvelles synergies, notamment au sein de l’UER : élargissement concerté de leurs zones de couverture grâce aux technologies numériques satellitaires, développement de formats ou de thématiques communes, d’achats de droits groupés… Fortes de leurs audiences, les chaînes publiques ne doivent pas sous-estimer leur potentiel de développement dans l’environnement numérique. Actuellement, les opérateurs commerciaux mettent en avant leur audience potentielle sur tous les supports, mais il faut garder en mémoire les mésaventures des entreprises de la «Nouvelle Société de l’Information», surévalués sur la seule base de leur audience potentielle alors qu’elles n’avaient pas de clients, et l’effondrement boursier qui a suivi.
En Europe, le service public de la radiodiffusion doit préserver une relation spécifique entre le téléspectateur et la télévision, différente du lien d’un consommateur à son fournisseur. Et seuls les opérateurs de télévisions publiques peuvent empêcher une domination à terme par quelques groupes marchands d’une télévision devenue un simple support de la publicité et du commerce électronique. Pour y parvenir, les chaînes publiques historiques doivent prendre une nouvelle dimension dans l’univers numérique en mouvement, adapter leurs organisations et leurs modes de fonctionnement.
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