La déclaration de Naples
par FERA (Fédération Européenne Auteurs Réalisateurs)
- Pour la deuxième fois, la Conférence de Naples s’est tenue en 2005 sur l’initiative de FERA avec le soutien de Cineuropa et de la province de Naples. La discussion s’est concentrée sur trois évènements cruciaux du moment: Convention pour la diversité culturelle signée maintenant à l’UNESCO, la révision de la Directive sans frontières et le programme Media 2007.
DECLARATION DE NAPLES 2005
Les 21, 22 et 23 octobre à l’initiative de la FERA et avec le soutien de Cineuropa et la Province de Naples, s’est tenu, pour la deuxième fois, la Conférence de Naples. Cette année, la conférence s’est inscrite à l’enseigne des trois événements cruciaux du moment : La Convention pour la Diversité culturelle aujourd’hui signée à l’UNESCO, la Révision de la Directive sans Frontière et le programme Media 2007, ainsi qu’un état des lieux des aides publiques nationales et régionales, eu égard à la politique de la concurrence de l’Union européenne. Pendant ces Rencontres, plusieurs personnalités du monde de l’audiovisuel, des associations professionnelles, ainsi que experts universitaires et hauts fonctionnaires européens ont animé des débats très vifs et courageux. La Fera en tenant compte des contenus de ces journées a rédigé le document suivant qu’elle souhaite porter à l’attention des décideurs européens et internationaux.
UN ENJEU DE CIVILISATION
Au lendemain du vote historique de l’UNESCO, il importe de prendre conscience que l’enjeu de la Diversité Culturelle principalement dans le domaine de l’audiovisuel, est devenu et devient chaque fois davantage un enjeu de civilisation.
Nous savons tous que l’inondation des marchés de l’Europe par les produits audiovisuels exportés par les grands groupes monopolistes mondiaux dominants, en particulier américains, entraîne l’atrophie de l’appareil européen de production et de distribution, l’accès de plus en plus difficile à l’outil et à l’investissement, le délabrement dans le champ de la création et des activités de réalisation audiovisuelle.
Mais il importe d’apercevoir un autre phénomène, parallèle mais trop souvent occulté.
L’invasion du marché et des écrans, au premier chef ceux de la télévision domestique, par le tout- venant de l’imagerie exportée par les grands groupes dominants de la mondialisation audiovisuelle engendre un phénomène diffus d’imprégnation progressive des consciences et de l’inconscient collectif. Ainsi, placés dans une situation de colonisation culturelle, les centaines de millions d’habitants de l‘Europe sont confrontés quotidiennement à mille thématiques qui recèlent autant de composantes archétypiques d’une civilisation: opinions et croyances, conduites et règles, choix esthétiques et impératifs moraux, modes de vie et art de vivre, modèles et valeurs.
Ce phénomène, prolongé jour après jour, année après année, le temps d’une vie d’homme, voire de générations successives, instillé par les voix subliminales et par celles d’une inlassable répétition, est de nature, sur la longue durée, à saturer les champs de l’imaginaire, à corrompre les mémoires originelles, à rompre les racines séculaires, en sorte que cette lente, insidieuse et invasive imprégnation des champs de conscience et de mémoire de centaines de millions de gens par des milliards de fugitives images, devrait aboutir à des mutations si nombreuses et profondes de l’univers mental du grand nombre qu’elles détacheront les populations de leurs racines. Il n’est pas alarmiste de penser que ces images pourraient éroder jusqu’au socle les anciennes civilisations de l’Europe et en rompre la continuité. Il s’agit bien sûr de ces civilisations qui siègent, immatérielles, dans l’esprit des hommes, qui sont la matrice au sein de laquelle s’engendrent, s’enfantent, se perpétuent et se ressourcent continûment leurs activités culturelles et dont la lente désagrégation est un phénomène assurément irréversible.
Dans un contexte aussi lourdement préoccupant, il nous faut répéter que l’enjeu de la diversité culturelle est aussi un enjeu de civilisation. En Europe et ailleurs. Cet enjeu majeur est un argument majeur pour affirmer la prééminence de la Convention de l’UNESCO sur les traités de commerce et pour emporter la décision des pouvoirs publics de promouvoir partout l’adoption et l’expansion de politiques culturelles. Car il importe de bien comprendre que le vote de l’UNESCO, loin de nous conduire à baisser la garde, nous impose tout au contraire de nous mobiliser, tous et partout, pour engager le combat de la Diversité Culturelle, dont on doit être assuré qu’il sera long et éprouvant, mais on doit sans cesse se rappeler qu’il concerne la sauvegarde d’un certain génie créatif des hommes et la pérennité des civilisations qu’ils ont lentement bâties.
C’est dans ces perspectives, dans une fidélité à la création conçue comme une stratégie, mais aussi comme une contribution à la cause de la Diversité Culturelle, que la FERA continuera d’oeuvrer et de lutter pour défendre la libre créativité des auteurs et des réalisateurs, laquelle est garante de l’authenticité de leurs œuvres, et pour promouvoir tant la liberté de choix de millions de citoyens que les vertus de l’intelligence critique et d’un regard adulte…
LA REVISION DE LA DIRECTIVE TVSF
En ce qui concerne la révision de la Directive Télévision Sans Frontières, les participants demandent aux décideurs de tenir compte des recommandations suivantes sans lesquelles aucune sauvegarde ne peut être véritablement assurée quant au respect des règles minimales qui peuvent sauvegarder la qualité de nos biens culturels :
1) Il faut que la proposition de la CE affirme des mesures de promotion de contenu européen, et, d’une manière générale, soit garante de la diversité culturelle et cela quels que soient les diffuseurs.
2) Il est également indispensable que la Directive propose non pas un principe mais une obligation de contribution à la production des nouveaux diffuseurs, c’est-à-dire de tous les services en ligne.
3) Il faut que la Directive présente une redéfinition de l’assiette des quotas, au sens d’un resserrement sur les programmes de stock, c’est-à-dire de création.
4) Il est aussi important qu’elle se prononce avec plus de clarté et précision quant à la normative concernant la délocalisation des biens et services.
LE PROGRAMME MEDIA 2007
Nous saluons et apprécions les efforts de Media allant dans le sens d’une meilleure promotion et diffusion des films européens, surtout en matière des films européens non nationaux, mais nous pensons que les énoncés de ce programme restent en dessous des besoins de l’industrie culturelle du cinéma et de l’audiovisuel. En particulier nous souhaiterions des efforts, tant dans le marché intérieur de l’Union européenne que dans les marchés des Pays tiers et en particulier de la zone méditerranéenne, des pays émergents tels la Chine, et les Pays qui partagent les valeurs de l’Union européenne. Pour ce faire nous demandons à la Commission Européenne de faire des efforts allants dans les sens énoncés ci-dessous :
1) La dotation budgétaire prévue par la Commission Européenne pour le programme Media 2007 et qui s’élève à 1.055.000.000 € représente un investissement largement au-dessous des buts qu’elle s’est fixée. Si elle veut remplir les objectifs qu’elle se propose et qui sont reconnus comme des actions prioritaires par tous les acteurs de l’Industrie culturelle du cinéma et de l’audiovisuel, et si elle veut par ce faire s’inscrire dans les perspectives des buts que les Chefs d’Etats avaient identifiés dans la Stratégie de Lisbonne : l’éducation, la recherche et l’innovation, et la société de l’information, elle doit se munir des moyens financiers à la hauteur de ces ambitions.
2) Pour qu’elle se donne ces moyens, la FERA estime que ce budget doit s’élever à 3.165.000.000 € (c’est-à-dire trois fois plus). Cette dotation financière est possible par un réinvestissement des moyens financiers prévus dans les perspectives des nouvelles réformes budgétaires de l’Union européenne et qui concernent la mobilisation de nouveaux moyens financiers vers ces secteurs porteurs de croissance, développement et stabilité sociale.
3) Nous saluons les efforts en matière de distribution des œuvres de création numérique, et nous exprimons le souhait de voir déployer des moyens financiers en matière de développement des réseaux et des services facilitant la circulation des œuvres européennes, dans le respect du droit d’auteur.
Par ailleurs nous saluons la création de l’agence exécutive, mais nous exprimons le souhait d’une grande vigilance et nous recommandons la plus grande transparence dans les critères d’attribution des soutiens aux œuvres audiovisuelles, et cela pour favoriser, défendre et respecter la diversité culturelle. Par ailleurs, il est nécessaire de renforcer les rôles des Media Desk quant à leur possibilité d’accueil des demandes de soutien.
Nous exprimons aussi notre regret de voir que dans ce programme, à nouveau les œuvres de création audiovisuelles restent orphelines et cela en dépit du fait que la Directive 93/98 sur la « Durée de protection des droits d’auteur et droits voisins » ait précisé que : « Au moins le réalisateur principal d’un film est considéré auteur ». L’attribution des aides au développement aux seuls producteurs considérés comme seuls initiateurs de la chaîne de production des œuvres de création audiovisuelles est pour cela insuffisante. Celle-ci doit être ouverte aux auteurs qui sont le plus souvent les véritables initiateurs des projets de création audiovisuelle.
CONSIDERATIONS SUR LES AIDES PUBLIQUES NATIONALES ET REGIONALES ET SUR LA POLITIQUE DE L’UNION EUROPEENNE EN MATIERE DE CONCURRENCE
1) Ces aides constituent le socle de la politique audiovisuelle en Europe. Toute atteinte à leur existence ou à l’amoindrissement de leur capacité d’intervention est une atteinte directe à la possibilité de défendre des œuvres de création dans leur spécificité linguistique, géographique et de diversité culturelle. Dans ce sens nous saluons avec enthousiasme la naissance, après dix ans d’efforts, de l’Institut National du Cinéma et de l’Audiovisuel Polonais.
2) Les aides régionales, nationales et européennes ont contribué dans leurs relations de complémentarité et de subsidiarité au bon développement et à la vitalité des œuvres audiovisuelles. Il est indispensable de sauvegarder leur fonctionnement et d’accroître les possibilités d’action des Centre nationaux et régionaux des nouveaux Pays et reconnaître leur complémentarité. Dans ce sens la FERA se tient à la dispositions de ces organismes, aussi bien que des associations professionnelles de réalisateurs pour qu’une confrontation et une meilleure information et coordination de ces aides puisse se mettre en place.
3) Dans ce sens il ne faut se tromper de cible. Dans la situation actuelle du marché intérieur, il est évident que les principales causes de distorsion de concurrence trouvent leur origine dans la politique des grands groupes dominants.
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