Ágnes Kocsis – Réalisatrice de Fresh Air
par Fabien Lemercier
- Fresh Air: sentiments et atmosphères
Rencontre avec la révélation magyare de l’année en route pour les sunlights de la Semaine de la Critique du festival de Cannes. Une jeune cinéaste au style visuel affirmé en immersion dans l’humain.
Polyglotte et esthète, la jeune cinéaste hongroise Ágnes Kocsis retrace pour Cineuropa la genèse de son premier long métrage Fresh Air [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], sélectionné à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2006. L’occasion de découvrir une personnalité très déterminée au style cinématographique mûrement réfléchi et qui porte sa caméra au coeur des sentiments.
Pourquoi avoir choisi d’explorer une relation mère-fille dans Fresh Air ?
Le travail de dame-pipi qu’exerce la mère est considéré comme un des plus humiliants de la société. J’ai pensé que c’était un thème intéressant à traiter à travers la honte qu’éprouve sa fille, une situation initiale assez claire pour que les spectateurs puissent la comprendre sans qu’il soit nécessaire de rentrer beaucoup plus dans les détails. Car je voulais exprimer ces sentiments plutôt grâce aux atmosphères, aux images, aux couleurs. Les enfants s’identifient d’abord à leurs parents, puis commencent à se chercher et se confrontent dans cet état de crise qu’est l’adolescence. Dans ce cas, il y a une difficulté supplémentaire puisque la mère exerce un métier humiliant aux yeux de tous.
Le film met l’accent sur le manque de communication
La fille est en rébellion contre sa mère qui lui veut du bien mais qui n’est pas capable de gérer la situation car elle a aussi ses propres problèmes. Beaucoup de gens vivent dans l’absence de communication ou ne communiquent que sur des choses insignifiantes. Cette situation se détériore et devient toujours plus grave car aucune des deux n’est capable de la dénouer, seul un élément extérieur peut déclencher un changement éventuel. Je ne voulais pas faire un film social, plutôt traiter des sentiments individuels, ce que ressentent la mère et la fille, ce qu’elles pensent, ce qu’elles vivent.
Fresh Air opère un mélange de désespoir et d’humour
La solitude touche beaucoup de gens qui cherchent quelque chose tout en rêvant à d’autres horizons. Ils sont malheureux car ils ne savent souvent même pas exactement ce qu’ils veulent. Et cet ailleurs, ils ne le trouveront jamais. Néanmoins, il me semble essentiel de savoir rire pour gagner en objectivité par rapport à soi-même, y compris dans la misère. A la fin du film, il y a cependant de l’espoir car tout ce qui semble négatif pour la fille qui n’obtient pas ce dont elle avait rêvé lui permet aussi de comprendre la réalité. Et c’est seulement en la comprenant qu’on peut atteindre un but, car le rêve seul ne suffit pas.
Comment avez-vous trouvé vos deux comédiennes ?
J’avais déjà travaillé avec Julia Nyako qui interprète la mère et j’ai tout de suite pensé à elle car c’est une belle femme qui peut encore attirer les hommes. J’aime briser les stéréotypes comme celui de la dame-pipi qui doit être laide. Pour la fille de 17 ans, nous n’avons trouvé personne dans les cours d’art dramatique, ni en visionnant un casting de 2000 jeunes filles fait par un autre réalisateur. Finalement, nous avons cherché dans les écoles de couture et j’ai remarqué Izabella Hegyi dans l’angle d’une classe, seule, différente des autres. Elle m’a plu immédiatement, mais elle n’avait jamais joué. Par bonheur, lors des essais, elle s’est révélée totalement naturelle et sensible.
Quels ont été vos parti-pris sur le plan visuel ?
Dans Fresh air comme dans mes courts-métrages, je n’utilise pas de gros plans. Les effets visuels ne me plaisent pas, sauf réelle nécessité. J’aime les plans larges dans lesquels s’insèrent les personnages car le spectateur doit pouvoir choisir ce qu’il veut regarder dans le cadre où je mets beaucoup de choses (y compris cachées). Dans le même esprit, je n’utilise pas la musique car je n’aime pas souligner pour amplifier les émotions. Ce qui m’intéresse (et ce qui me plait dans la peinture), c’est l’atmosphère qui se dégage avec les couleurs, la composition...
Quels cinéastes vous plaisent ?
Plutôt le cinéma européen des années 60 et 70 et des réalisateurs comme Fellini, Antonioni, Godard, Truffaut, Bunuel, Olmi et tant d’autres. Aujourd’hui, les films asiatiques m’attirent quand ils sont contemplatifs. Souvent, quand je vais au cinéma, je ne me souviens plus des histoires, mais je garde en mémoire les atmosphères.
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