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FILMS / CRITIQUES

Le dernier des fous

par 

- Une plongée ciselée au pays du malheur : le second long métrage choc d’un auteur multiprimé

L’espace ? Une ferme et la campagne environnante au soleil de l’été. Le temps ? Quelques semaines jusqu’au point d’orgue d’une tragédie inexorablement en marche. La méthode ? Ne rien démontrer, laisser le spectateur libre de tirer ses propres conclusions. En décidant d’adapter le roman "Le dernier des fous" du Canadien Timothy Findley (publié en 1967), le Français Laurent Achard, vainqueur à Rotterdam en 1999 avec son premier long métrage (Plus qu'hier, moins que demain) a choisi pour son second essai une matière explosive : une famille prise dans une spirale de malheurs. Car Martin, cet enfant de onze ans découvert par son maître d’école caché dans l’obscurité à la veille des vacances, affichant l’étrange volonté de redoubler et jetant son cartable dans la rivière vit au coeur d’une réalité chaotique. Dans l’interdiction de voir sa mère, cloîtrée volontaire dans une chambre à l’étage, en proie à une profonde dépression et aux fantômes de la folie, l’enfant encaisse apparemment sans broncher des problématiques psychologiquement ultra-violentes situées bien au-delà de son entendement. Et il ne trouve pas non plus de réconfort du côté d’un père effacé et dépassé par les événements, d’une grand-mère concentrée sur la question de la survie économique (vendre la ferme), ni même d’un grand frère affectueux mais en crise existentielle (partir ou non ?) et sentimentale (sur fond d’homosexualité dans le monde rural). Et tout ira de mal en pis jusqu’à l’issue fatidique de ce voyage dans la détresse. Le rideau noir est tombé.

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De ce scénario périlleux par sa concentration de désespoirs contemporains et brûlant les mains des décideurs des télévisions plus enclins à préacheter des comédies de prime-time, Laurent Achard a pourtant réussi le tour de force de créer une oeuvre extrêmement subtile. Perçu uniquement par le point de vue d’un enfant interprété par un Julien Cochelin aussi émouvant qu’expressivement insondable, le récit se tisse par petites touches sur un rythme calme entrecoupé d’éclats fulgurants. Abordant très rarement les personnages et les actions de manière frontale, et utilisant avec une rare intelligence le hors-champ et le son (notamment pour accentuer l’envahissante présence de la mère quasi invisible – incarnée par une très impressionnante Dominique Reymond), le réalisateur réussit à instaurer un climat prenant d’étrangeté et d’inquiétude. Et cette exceptionnelle maîtrise de la mise en scène qui maintient le spectateur dans l’incertitude concernant les motivations et les intentions exactes des protagonistes permet au cinéaste de s’aventurer très en profondeur dans les zones sensibles et complexes de l’humain. A la fois portrait quasi chirurgical réaliste d’une France profonde abandonnée à elle-même et oeuvre de répertoire dans la lignée des tragédies grecques et des jeux shakespeariens, Le dernier des fous offre une grille de lecture à entrées multiples nourrie par de discrètes métaphores. Mais ce constat âpre des carences affectives destructrices d’une microsociété désaxée et sous pression économique transmettant des modèles déstructurants à une génération suivante totalement privée de repères, se présente surtout comme une épure cinématographique d’une grande puissance à travers son apparente simplicité. Et la qualité des comédiens et de la direction d’acteurs exerce une saisissante influence sur l’impact du film avec une mention spéciale à Pascal Cervo dans le rôle sur le fil du rasoir du grand frère et à Fettouma Bouamari dans celui de la bonne, seul personnage solaire de cet univers crépusculaire. Un ensemble qui a déjà valu notamment au film le Prix Jean Vigo et celui de la mise en scène à Locarno.

Long métrage sans concession sur l’âme humaine mais refusant méthodiquement de tirer les grosses ficelles des explications psychologiques et sociologiques, Le dernier des fous [+lire aussi :
bande-annonce
interview : Dominique Barneaud
interview : Laurent Achard
fiche film
]
confirme l’indiscutable talent d’un cinéaste s’inscrivant dans la lignée des grands auteurs de l’art cinématographique. Une denrée assez rare au temps du formatage des sujets et des styles, et au final un film brillant et fortement dérangeant existant grâce à un duo composé du cinéaste Robert Guédiguian et de Dominique Barneaud, deux représentants d'Agat Films & Cie, défenseurs acharnés d’un cinéma d’auteur de plus en plus difficile à produire.

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