Martel et la bourgeoise sans tête
par Camillo De Marco
Deux frères et un chien jouent à se courir après dans un canal vidée de son eau. Plus tard, une voiture avec au volant une blonde platine passe dans les parages ; la conductrice est distraite, les roues heurtent quelque chose... peut-être un chien. Puis il se met à pleuvoir, et le canal commence à se remplir.
Lucretia Martel, réalisatrice argentine subtile et sensible qui propose ici son troisième film après la fresque de La Ciénaga et le provocant La niña santa, est en compétition au Festival de Cannes. La mujer sin cabeza [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film], coproduit par l'Argentine, l'Espagne, la France et l'Italie, a un parfum de rêve : l'héroïne, Marìa Onetto, est une bourgeoise cinquantenaire dont la vie tranquille est bousculée par un événement inattendu qui la projette dans une dimension onirique : est-ce qu'elle a tué un enfant avec sa voiture ? Est-ce qu'elle est à l'hôpital pour une radiographie ? A-t-elle vraiment trompé son mari dans une chambre d'hôtel avec un cousin amoureux d'elle depuis toujours ? Le monde semble soudain peuplé de fantômes et d'étranges signaux, et la réalité n'a plus autant d'importance qu'avant, mais peut-être ces fantômes sont-ils les pauvres, le peuple qui entoure la bourgeoise et est voué à exercer les plus humbles métiers.
Peut-être qu'il suffirait de se teindre les cheveux, du blond platine au brun, pour faire disparaître ces fantômes, pour que tout redevienne comme avant.
Martel fait évoluer la caméra autour de l'héroïne, s'approche à quelques centimètres ; elle enquête pendant que l'héroïne avance dans des espaces familiers comme si elle n'appartenait plus à ce monde, elle lance de nouveau un regard sur une société sur laquelle pèse un malaise d'origine inconnue. Dans La Ciénaga, l'alcool était le grand refuge, ici c'est l'indifférence le médicament contre le sentiment de culpabilité.
(Traduit de l'italien)
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