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Le cinéma européen soutient le dialogue interculturel - Etude de cas: 186 Kilometres

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- Contrairement aux attentes, le road-movie estonien 186 kilometers réalisé par Rain Tolk et Andres Maimik est devenu le plus grand succès du pays en 2007, capable de battre le blockbuster américain Spiderman III. Cette réalisation est remarquable, compte tenu de la situation financière de l'Estonie, qui ne peut financer que 4-6 films nationaux par an, et de la domination des films américains en Estonie.

186 Kilomètres – Une bande de punks revitalise le cinéma d’Estonie

Les comiques irrévérents Rain Tolk et Andres Maimik ont reçu le soutien de la Estonian Film Foundation pour produire et réaliser la comédie 186 KILOMETRES. Contre toutes attentes, le film devint le plus gros succès commercial de 2007 dans les salles de cinéma du pays, devançant le blockbuster hollywoodien SPIDER MAN 3.
Il est des cas – et l’Estonie en fait assurément partie – ou le développement d’un cinéma national viable doit être la première des priorités afin de nourrir la diversité culturelle et stimuler le dialogue entre les cultures. L’Estonie, un pays de 1,5 million d’habitants, limitrophe de deux géants et soumise à l’invasion hollywoodienne, a réussi à dans cette mission. La Estonian Film Foundation n’a la capacité d’accorder du soutien qu’à moins de 10 films locaux annuellement mais le talent d’individus tels que Rain et Andres assure, épisodiquement, que les estoniens se voient refléter leur propre culture à travers un cinéma national qui participe ainsi au maintien d’un identité culturelle spécifique. Parfois, la diversité culturelle, ça commence par chez soi…

186 Kilomètres est la distance exacte entre Tallin, capitale de l’Estonie et la ville de Tartu, près de la frontière avec la Russie. Le fait que l’Estonie n’est donc pas un pays très grand est plutôt connu. Que 186 Kilomètres soit aussi le titre de l’un des plus gros succès commerciaux de l’histoire du cinéma estonien, voilà qui est par contre beaucoup moins connu. Sorti dans les salles en 2007, le film aura battu les gros films hollywoodiens tels que Spiderman III à plates coutures. De plus, le film aura réussi à faire rire d’elle-même toute la nation estonienne.

Ce n’est pas un moindre accomplissement pour les jeunes cinéastes responsables de ce phénomène populaire. Rain Tolk et Andres Maimik. « Je travaillais comme journaliste à la fin des années quatre vingt dix, essentiellement pour des magazines people. C’était très ennuyeux », se souvient Rain. Une opportunité se présente lorsqu’un ami du jeune journaliste désabusé lui demande de créer un magazine télévisé pour la jeunesse. Le comique britannique Dennis Pennis devient leur source d’inspiration : avec un mélange audacieux d’agression et d’auto-dénigrement, le personnage de Dennis approche des célébrités et leur pose des questions absurdes dans une tentative pas toujours réussie de révéler leur vanité et le caractère factice du cirque médiatique qui les entoure. « J’avais un ami qui devint mon collaborateur sur ce projet, pour mettre au point une approche assez déjantée. On a fait semblant de soumettre des politiciens locaux au chantage, rédigé un manifeste néo-punk, et traité de tous les sujets sur le mode satirique ».
L’émission fut immédiatement populaire auprès du jeune public estonien, et ce d’autant plus qu’elle s’est avérée immédiatement impopulaire auprès du public plus âgé. « Il est devenu difficile de continuer. Certains politiciens étaient très outragés et demandaient pourquoi des fonds publics devraient servir a ridiculiser les institutions du pays », confie Rain en ricanant.

C’est à cette époque que le jeune journaliste devenu personnalité de l’audiovisuel rencontre Andres, un jeune réalisateur de faux documentaires comiques pour la télévision.

L’enthousiasme de Rain paraît intact lorsqu’il évoque cette transition : « Soudain, nous étions quatre. Moi, Andres, l’ami avec lequel j’avais monté l’émission et un autre jeune talent de la télévision. On voulait faire quelque chose ensemble mais on n’était pas réalisateurs au sens conventionnel du terme. On était plutôt comme un orchestre de rock à la recherche de sa sonorité propre ».

A la recherche de cette « sonorité », le group produit alors quelques faux documentaires comiques qui connaissent un certain succès à l’antenne et attirent l’attention des agences de publicité et de la Estonian Film Foundation (EFF). « Les pubs nous ont permis de payer le loyer, mais à la même époque, la EFF nous a octroyé un soutien financier pour faire un long métrage et nous avons décider de partir en ballade tout en faisant le film ».
Pas tout à fait. Avant de partir, il s’attable d’abord avec le jeune acteur le plus populaire d’Estonie, Jaan Uuspold et en très peu de temps, ils élaborent une structure narrative et un vague scénario pour un road movie satirique, qui allait devenir 186 Kilomètres.

Le film, très largement improvisé s’inspire en partie d’incidents réels dans la vie de la jeune star. A partir de ce canevas narratif, les cinéastes tissent une série de situations et épisodes qui décrivent et satirisent la vie contemporaine en Estonie et sa politique. Armé d’un scénario rédigé en trois jours, « l’orchestre » partent sur les routes et filment trente heures de scènes diverses. Rain résume leur recette en ses propres mots excentriques : « Dans 186 Kilomètres, nous avons mélangé fiction et réalité tout le temps ; c’était à la base même de notre approche. Nous avons également confondus les attentes de l’audience en permanence : nous avions des célébrités se jouant elles mêmes, des acteurs connus jouant d’autres acteurs connus, ou des célébrités jouant d’autres célébrités, etc. Il s’agissait de faire dans l’irrévérence punk ». Dans une scène particulièrement prisée de l’audience estonienne, le futur président du pays est mis à contribution.

On est en droit de se demander quel est le lien possible entre la diversité culturelle et un film néo-punk satirique à micro-budget fait par des estoniens pour des estoniens. Tristan Primagii, un jeune cadre de EFF apporte une réponse très robuste à cette question : « Le film a plus fait pour rehausser le profil de notre cinéma national que tous ses prédécesseurs et a aidé à focaliser l’attention sur la nécessité de préserver notre pouvoir d’expression culturelle dans ce medium. Après la fin de l’ère soviétique, nous avions presque totalement perdu toute production cinématographique, de sorte que cet élément de notre patrimoine culturel était en voie de disparition ».

Lorsque les vagues de fou-rire autocritique se seront calmées, les estoniens se souviendront longtemps, avec gratitude, de l’impact à long terme de 186 Kilomètresen tant qu’expression de leur vitalité culturelle.

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