Le cinéma européen soutient le dialogue interculturel - Etude de cas: Brick Lane
- Basé sur le roman best-seller de Monica Ali, Brick Lane a été porté à l'écran par la réalisatrice basée à Londres, Sarah Gavron. Le film reflète la réalité sociale à l'intérieur de la société contemporaine bangladeshi dans l'East End de Londres.
Brick Lane – Découvrir des mondes qui ne sont pas les nôtres
« Je suis avant tout une londonienne », affirme Sarah Gavron, la réalisatrice
de Brick Lane. « Et je crois que les histoires londoniennes les plus
intéressantes sont celles qui proviennent des immigrants qui sont arrivés dans
ce grand melting pot très volatil », ajoute-t-elle. La grand-mère de Sarah s’en
vint vivre à Londres pour la première fois dans les années trente du siècle
dernier, afin d’échapper à la vague montante d’anti sémitisme dans son Berlin
natal. « Ma propre famille est encore imprégnée de cette histoire, celle de
l’arrivée dans un monde nouveau ».
Le choc culturel et les défis que présente l’intégration de sa propre vie face à des courants culturels souvent en conflit, voilà de quoi traite Brick Lane. Un best seller de Monica Ali, le roman sur lequel le film est basé raconte le combat pour l’autonomie sociale d’une jeune femme du Bangladesh plongée sans transition dans le monde bigarré et multiculturel de l’est de Londres. Brick Lane, le livre, s’est déjà vendu à plus de trois cents mille exemplaires et semble avoir su saisir l’air du temps autour des complexités nées de l’immigration et la culture urbaine à forte mixité de la métropole anglaise. Cependant, le portrait d’une femme luttant pour se libérer du carcan d’un mariage arrangé n’était pas au goût de tous. « Le livre a révélé la peur chez les hommes d’un certain âge, les conservateurs sociaux et religieux au sein de la communauté sud-asiatique anglaise » remarque Himesh Kar, qui a supervisé la production du film au nom du UK Film Council.
Les sentiments passionnels suscités par le livre sont revenus à la surface dés que les nouvelles de son adaptation pour le grand écran furent connues. Lors d’un incident qui mit le chaos dans la production, l’équipe de tournage reçu des menaces de mort alors qu’ils s’apprêtaient à tourner une scène dans Brick Lane, rue légendaire de Londres qui donne son titre au livre et au film. « Cet endroit est intensément symbolique » remarque Sarah. « La mosquée y était autrefois une synagogue et, avant cela, une église… ». Après un changement de lieu de tournage, la production aura encore été la cible d’une manifestation menée par un petit groupe d’hommes exprimant leur objection à certaines scènes d’un scénario qu’aucun d’entre eux n’avait lu. L’une de ces objections concernait une scène au cours de laquelle le mari de l’héro_ne exprime un préjugé raciste envers une autre communauté originaire du Bangladesh. « Que l’un des personnages exprime un préjugé raciste, cela faisait partie d’une approche réaliste, et non pas une critique idéologique. Nous n’avons pas cherché à faire un tract politiquement correct sur le Londres du multi culturalisme » dit Sarah.
Ces incidents ont attiré une attention médiatique disproportionnée, amenant l’auteur du livre, Monica Ali, à écrire un long article très bien argumenté, publié par le quotidien anglais The Guardian, dans lequel elle dénonçait les la frénésie des medias. Ces évènements furent spécialement difficile à vivre pour les membres bangladeshi de l’équipe du film, qui réagirent avec colère et indignation aux pressions qu’ils jugeaient répressives, de la part de membres de leur propre communauté.
Mais toute cette agitation n’aura pas détourné la réalisatrice de la tâche très prenante de créer une vision réaliste et authentique des communautés dépeintes dans le film. « Au début, j’étais un peu intimidée, car il ne s’agissait pas de ma propre communauté. Bien entendu, je pouvais me relier à l’histoire universelle derrière les personnages mais je voulais être sûr d’éviter tout cliché ». Sarah prit donc la décision de recruter deus réalisateurs adjoints. Le poste de réalisateur adjoint’ n’existe pas vraiment dans le secteur traditionnel du cinéma britannique, mais c’est en revanche un poste très usité à Bollywood. Ruhul Amin et Sangeeta Datta venaient respectivement du Bangladesh et du Bengale. Il étaient l’un et l’autre, non seulement très expérimentés dans le domaine du cinéma mais ils étaient également en mesure de conseiller Sarah sur la manière d’intégrer dans la matière du film ces petits détails qui évoquent l’authenticité culturelle. « Ruhul était présent tous les jours » dit Sarah, « Il s’asseyait près de l’écran vidéo, prise après prise, s’assurant que le moindre détail, depuis les accents, l’agencement des maisons des personnages, leur régime alimentaire, leurs façons de prier, toutes ces choses, reflétaient effectivement la réalité ». Sangeeta, que Sarah avait rencontré lors d’un voyage en Inde à la recherche de certains acteurs, contribua également des notes copieuses sur le scénario.
La même minutie était en évidence dans le choix de l’attribution des rôles. Le voyage de Sarah au Bangladesh fut d’une grande utilité pour le développement du projet, non seulement à cause de l’opportunité d’y découvrir des acteurs correspondant bien à certains rôles, mais aussi parce que ce fut l’occasion pour elle de s’imprégner du paysage et de l’atmosphère du monde représentant la genèse psychologique de ses personnages. Pour le choix des deux jeunes femmes pour les rôles principaux, elle bénéficia de l’aide de Tareque Masud, un cinéaste local, et celle d’une agence de casting locale. « Notre actrice pour le rôle principal, Tannishtha Chatterjee, venait du Bengale, mais ses grand parents venaient du Pakistan oriental. Elle a grandi à Calcutta mais vit maintenant à Mumbai. Le fait qu’elle ne connaissait pas bien l’Angleterre était un avantage pour le film car cela lui a permis d’évoquer dans le rôle son expérience du déplacement de façon plus tangible, plus spontanée », évoque Sarah. La distribution des rôles fut complétée par des acteurs du East End de Londres d’origine d’Asie du sud, y compris des amateurs.
Le film a rapporté 850 000 £ de recettes brutes dans les cinémas anglais. Bien que cette performance soit un petit peu en dessous des attentes des cinéastes et du distributeur, elle n’en est pas moins saine, si l’on considère qu’il s’agit d’un film indépendant britannique sur un sujet difficile. Les ventes de DVD ont été très satisfaisante et le film a été diffusé pour la première fois sur Channel4, l’une des chaînes britanniques les plus engagée avec le cinéma local. Film4, le département de production cinématographique de la chaîne, a été l’un des principaux investisseurs dans Brick Lane, avec 47% du budget ainsi qu’une participation importante au développement du projet avec Sarah.
« Je souhaite apporter ma contribution au monde, et non pas lui faire du mal » dit Sarah. « L’expérience de l’immigration a beaucoup de résonnance en moi et Brick Lane a représenté une opportunité pour moi de jouer mon rôle dans le rapprochement entre les cultures, au sein de cette cacophonie culturelle qu’est le Londres contemporain ».
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.