Le cinéma européen soutient le dialogue interculturel - Etude de cas: Grbavica
- Cette étude de cas offre un aperçu du processus ayant porté ce projet sur grand écran. Le vainqueur de l’ours d’or de la Berlinale 2006 est une coproduction entre l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, l’Allemagne et la Croatie.
Grbavica - Trois femmes, une guerre et le pouvoir curatif du cinéma
Grbavica, un film de Jasmila Zbanic, qui s’est vu décerner le Lion d’Or à la
Berlinale 2006, raconte l’histoire d’une mère célibataire, Esma, sa fille
adolescente Sara et leurs vies dans un Sarajevo contemporain ou les
blessures de la guerre commencent à peine à guérir.
Tandis que la guerre faisait rage, Esma a été victime d’un viol, comme beaucoup d’autres femmes. C’est au cours de cet acte d’une brutalité barbare que Sara fut conçue. Esma passe la majeure partie du film à tenter d’empêcher que sa fille ne découvre la vérité sur ses origines.
Grbavica, c’est la guerre vue à travers ses conséquences humaines à long terme. Ici, pas de spectacle, pas de gestes héro_ques. Il s’agit de la guerre telle qu’elle est vécue par les femmes, dans le coeur, l'_me et le ventre, à travers les générations. Le film est une célébration endeuillée mais aussi pleine d’espérance, du courage de ces femmes, leur endurance, leur capacité à se remettre des blessures du passé dans un pays encore sous le choc de la violence.
L’histoire du projet est elle aussi une histoire de trois femmes européennes,
leur lien d’amitié, leur sens de l’histoire et une passion partagé pour le
cinéma.
Tout comme dans le film, le point focal de cette histoire est la ville de
Sarajevo.
« Je suis venu à Sarajevo pour la première fois en 1994 pour y réaliser un
court documentaire sur les jeunes de la ville et leur vie », raconte la
productrice autrichienne de Grbavica, Barbara Albert. A l’époque, Barbara
était étudiante en cinéma à Vienne et la guerre dans l’ancienne Yougoslavie
venait de s’achever. A ses côtés, la chef-opératrice Christine A. Maier, une
collègue étudiante autrichienne qui partageait l’ambition de collecter des
témoignages sur les effets de cette guerre et sa signification pour l’Europe.
C’est en sélectionnant des étudiants de Sarajevo pour leur documentaire
d’étudiantes que Barbara et Christine rencontrèrent Jasmila Zbanic, ellemême
étudiante en cinéma à Sarajevo.
L’amitié fut immédiate : « Christine et moi furent frappés par la grâce et la générosité de Jasmila. Tout de suite, elle nous invita à séjourner dans sa famille, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde ». Elles ne pouvaient pas prédire que cette amitié naissante les conduirait une décennie plus tard jusqu’à cette soirée inoubliable à Berlin, les applaudissements de leurs pairs et leurs mains serrant la statuette tant convoitée du Lion d’Or. Barbara et Christine rentrèrent à Vienne pour y passer leurs examens finaux et y tourner Nordrand, le premier long-métrage de Barbara, qui fut sélectionné en compétition au Festival de Venise en 1999. Au cours de la même année, Barbara et trois de ses collègues étudiants fondèrent l’entreprise de production Coop99. A Sarajevo, Jasmila commençait de se confronter à la même période au double défi de la maternité et d’une carrière dans le cinéma.
En 2002, ayant suffisamment développé son scénario pour Grbavica, elle réussit à le faire sélectionner pour le prestigieux « Pitching Point » de la Berlinale, un atelier au cours duquel des jeunes cinéastes présentent leurs projets à des professionnels expérimentés et reçoivent conseil. Le producteur allemand Boris Michalski (Noir Films) faisait partie des experts qui entendirent la présentation passionnelle que Jasmila fit de son projet. Il deviendra le coproducteur du film.
A cette date, Barbara Albert venait de produire et réaliser son deuxième long métrage tandis que Christine continuait de renforcer la réputation qui en fait aujourd’hui l’une des chef-opératrices les plus respectées d’Europe. Au cours de ces années très remplies, les trois femmes n’auront jamais perdu le contact : lorsque que vint le moment de choisir une maison de production pour le scénario de Grbavica, Jasmila n’eut donc aucune hésitation à en remettre une copie à Barbara. « J’ai reçu le scénario au début de 2003 et il m’a plu tout de suite. Il respirait Sarajevo, sa poésie, sa tragédie. Je connaissais bien la ville à présent et pensait que c’était un lieu pivot dans l’histoire de notre génération de jeunes européennes ».
Barbara partageait le sentiment d’urgence concernant Grbavica. Le viol en tant que traumatisme collectif pour tant de femmes de l’ex-Yougoslavie était un problème largement ignoré au cours du va-et-vient diplomatique de l’après-guerre. Le viol était également une métaphore plus large pour le choc des guerres européenne fratricides et la violation de la dignité humaine qu’elles entraînent. L’heure était venue pour un tel film.
L’histoire du tournage de Grbavica est celles d’une authentique coopération entre producteurs et agences nationale du cinéma à travers cette région d’Europe qui fut le plus affectée par la guerre dans l’ex-Yougoslavie, et ses conséquences.
Dés le départ, Roland Teichmann, directeur de l’Institut Autrichien du Cinéma aura été impressionné par l’engagement des cinéastes et leur foi dans le pouvoir du cinéma à guérir les blessures historiques de l’Europe. Sa propre foi dans le projet est à l’origine de la décision du IAC d’accroître sa contribution au budget à 40% au lieu des 30% initialement prévus, en dépit de quelques réactions critiques (la Bosnie Herzégovine contribua 26%, l’Allemagne 23% et le solde vint de la Croatie). « Nous croyions dans ce projet européen conçu avec beaucoup de passion », remarque Teichmann. « Cela n’avait rien à voir avec des liens historiques entre l’Autriche et la Bosnie et les Balkans ; il s’agissait de la réalité européenne présente, celle dans laquelle nous vivons ; il s’agissait des blessures de la guerre et du désir de savoir d’où nous venons. Le film donne sa place à un moment de notre histoire qui devait être raconté et vu. C’est un film politique, certes, mais aussi un film humain. »
La composition de l’Equipe de tournage de Grbavica reflète l’idée du film comme cri d’éveil adressé à tous les européens. Composée d’autrichiens, allemands et bosniaques, avec Christine pour chef-opératrice et le partenaire de production de Barbara Bruno Wagner pour producteur exécutif, le projet se sera fait dans une atmosphère d’urgence créative et le sens de l’engagement communiqué par Jasmila et ses actrices.
Le triomphe spectaculaire de Grbavica au festival de Berlin en 2006 aura permis au film de trouver une audience internationale. En 2008, deux ans après le Lion d’Or à Berlin, le film pouvait se targuer d’avoir été distribué en salle dans plus de vingt pays à travers le monde, emportant l’adhésion enthousiaste des critiques. Bien qu’il ne fut jamais conçu pour être une film à vocation commerciale populaire, l’intégrité de Grbavica et son traitement dramatique des conséquences de la guerre lui aura permis de sortir des limites quelque peu étroites du marché du film art-et-essai dans lequel trop de films européens à petit budget semblent souvent confinés.
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