Le cinéma européen soutient le dialogue interculturel. Etude de cas: Fighter, de Natasha Arthy
- Fighter est un film à la confluence entre plusieurs influences culturelles: réalisé par une femme d’ethnie danoise et mettant en scène des non-professionnels de la communauté turque du pays, il intègre l’esthétique typique du mouvement danois Dogma avec les codes du ballet typiques du cinéma kung fu chinois.
Fighter – le combat d’une immigrante, entre tradition et émancipation
« Nous avons l’habitude de nous voir nous-mêmes comme un ‘gentil petit pays’ » remarque la réalisatrice danoise Natasha Arthy. « En réalité, nos politiques d’intégration sont entrain d’échouer et il est grand temps de faire face au problème ».
Natasha a découvert les défis de l’immigration et de l’intégration au Danemark pendant sa recherche pour la préparation du film Fighter. « Beaucoup de jeunes n’ont aucune curiosité les uns pour les autres. Chacun vit dans son petit cercle social, à l’intérieur de sa propre communauté ethnique ».
Le Danemark contemporain a une population immigrée d’environ 500,000. Dans un petit pays dont la population est seulement de 5,4 millions, c’est déjà presque 9% et l’immigration en provenance de pays non-européen est un phénomène relativement nouveau au Danemark. Ce n’est donc pas surprenant que la jeunesse danoise, à travers l’ensemble de ses souscultures, se sente quelque peu confuse et qu’il lui manque de claires orientations pour lui permettre de s’adapter au changement.
La réputation de Natasha en tant que cinéaste européenne fut acquise après qu’elle réalisa le succès critique Old, New, Borrowed Blue. Elle réalisa le film dans une adhésion complète aux normes esthétiques du mouvement danois Dogma, une manifeste pour un nouveau cinéma vérité lancé à l’origine par Lars Von Trier et son cercle d’amis au début des années quatre vingt dix. En approchant le développement de Fighter, elle n’avait aucune intention de faire un film didactique sur le thème de l’intégration. « L’attrait de cette historie, de mon point de vue, résidait dans son caractère très universel. Il s’agissait d’une jeune femme recherchant puis se lançant dans ce qu’elle voulait vraiment faire et de l’impact de ses choix sur les relations familiales » confie Natasha.
Dans le film, Aicha, interprétée avec grâce et conviction par l’actrice non – professionnelle Semran Turan, entre en collision avec son système familial turco-danois traditionnel tandis qu’elle tente de définir son identité propre à travers la pratique du kung fu. Aicha vit une double vie ; fille et soeur obéissante pendant la journée, elle se transforme la nuit en une combattante en arts martiaux possédant la pleine maîtrise d’elle-même et le drame atteint son crescendo au moment ou des circonstances extérieures fait éclater cet arrangement schizoide.
En tant que jeune femme de souche ancestrale danoise, Natasha se trouva fascinée par l’étude d’une sous-culture en contraste si marqué avec celle dans laquelle elle a été élevée. « J’ai été élevée avec l’idée de faire ce que je voulais. Mais cette valeur n’est pas dominante dans certaines des cultures de l’immigration. Beaucoup d’entre elles sont très focalisées sur la famille et place une grande importance sur l’idée de l’interdépendance et celle de satisfaire ses parents » observe-t-elle. « Ce que je voulais montrer c’est qu’il y a des conséquences à suivre son propre coeur. Nous faisons tous l’expérience de ces conséquences mais elles sont bien plus dramatiquement en évidence dans ces communautés pour lesquelles la famille est au centre de la vie ». Fighter dramatise avec élégance un paradoxe qui est au coeur de l’expérience de l’immigration : bien qu’Aicha soit élevée au sein d’un pays qui exalte la liberté individuelle, elle ne pense pas nécessairement que faire ce qu’elle a envie de faire soit moralement acceptable. C’est ce conflit intérieur qui donne au film sa dynamique, autant que les séquences de combat kung fu.
Chorégraphié avec une grande virtuosité par l’expert chinois en arts martiaux Xiang gao (Tigre et Dragon), Fighter aura connu des périodes de production et de post production extrêmement longues, à cause de sa complexité technique. Les jeunes acteurs furent soumis à un de régime d’entrainement très rigoureux six mois avant le début du tournage.
Natasha reconnait qu’elle aime les films d’art martiaux chinois de qualité. Cependant, elle prend soin de nier que l’esthétique de genre cinématographique ait été au centre de son projet. « C’est un film sur un personnage adolescent en quête d’identité dans lequel les arts martiaux sont employés comme un moyen dramatique. De ce point de vue, le film est plus proche de Billy Elliott que d’un film d’action de Hong Kong ».
Bien que très peu typique de la majorité des films danois pour les jeunes, Fighter représente néanmoins un très fier accomplissement pour le Danish Film Institute (DFI). En 1982, un décret du Parlement engageait le DFI à dédier 25% de son budget à des films pour les enfants et la jeunesse. Ce statut représentait l’aboutissement de nombreuses années de débat politique.
Cette petite clause dans le nouvelle Loi Nationale sur le Cinéma aura eu un impact considérable, qu’il a encore aujourd’hui. Il existe maintenant une continuité dans le volume des films danois produits pour satisfaire ces groupes démographiques. Depuis 1989, DFI a établi un régime de « consultants » internes pour les projets orientés jeunesse, avec un poste pour le documentaire et n’autre pour le long métrage de fiction. Les consultants évalue les projets d’un point de vue artistique. Depuis 1998, DFI opère également le Centre for Children and Youth Film (aujourd’hui intitulé Children and Youth). La tâche du centre est de développer des stratégies et ligne d’action pour faciliter l’accès des jeunes au savoir faire et la culture cinématographiques. Ses cibles sont les enfants et les enseignants au noiveau national, de même que les professionnels de l’industrie du cinéma au niveau national et international. Ces activités de base sont l’éducation au cinéma, la formation des enseignants, les séminaires pour les professionnels, les programmes pour enfants en âge pré-scolaire et pour les écoles regionales, la coopération avec les festivals et un studio interactif pour l’échange culturel international.
« L’idée motrice derrière notre travail, c’est celle de ‘la démocratie pour les enfants’ » remarque Charlotte Giese, directrice du département Children and Youth. « D’une part, nous faisons tout ce que nous pouvons pour élargir leur répertoire cinématographique à travers le cinéma et l’école. Et nous faisons la promotion du cinéma en tant qu’outil important d’éducation tout en les sensibilisant à l’art et au processus de création cinématographiques. D’autre part, le département motive les cinéastes pour créer des films innovateurs et originaux destinés à la jeunesse et à l’enfance ». Enfin, un aspect important des activités DFI dans ce domaine est d’utiliser le medium du cinéma pour refléter la diversité culturelle croissante en tant que composante intégrale de la réalité danoise contemporaine.
L’obligation légale d’engager un quart de son budget dans ce domaine d’activités signifie qu’au moins 6 des 24 films soutenus annuellement par le DFI doivent être destinés aux jeunes publics. « Cela a un for effet vertueux » commente Charlotte. « A partir du moment ou ils savent que de tels projets recevront un soutien financier et professionnel partiel du DFI, les cinéastes sérieux sont prêts à prendre des risques sur de tels films – et souvent même de tenter des approches plus expérimentales dans des genres peu représentés, etc ».
Natasha Arthy est ardente dans son soutien à l’approche du DFI. Au cours de l’écriture du scénario de Fighter, elle fut soutenue par la consultante DFI Mette Damgaard Sørensen. « A chaque étape du processus, du synopsis au scénario final, j’envoyais mon travail Mette qui me répondait avec des notes détaillées ». Ancienne rédactrice-en-chef de du magazine culturel danois à succès EKKO, Mette a un diplôme d’études du cinéma qu’elle combine avec un engagement professionnel de longue date dans les thèmes de la jeunesse et de l’enfance.
Fighter est un film situé à la confluence entre des influences culturelles diverses : réalisé par une danoise de souche avec des acteurs nonprofessionnels des la communauté turque, le film intègre aussi l’esthétique typiquement danoise de Dogma avec les conventions gestuelles du cinéma d’action chinois. Le résultat est un film fort avec, à son centre, le conflit émotionnel d’une jeune femme luttant pour s’individualiser en conjuguant en elle-même les valeurs opposées de deux cultures.
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