Le cinéma européen soutient le dialogue interculturel - Etude de cas: Soda Pictures
- Edward Fletcher, directeur général de Soda Pictures, est un des rares distributeurs de films indépendants restant au Royaume-Uni qui motive son entrée dans ce marché risqué en premier lieu par une question de goût ainsi qu’une passion durable pour les films de toutes les cultures du monde.
Soda Pictures – Célébrer un cinéma de toutes les cultures
Un jour ils ont joué un petit jeu chez Soda Pictures, probablement un moyen de tempérer le stress quotidien dans un petit bureau au coeur du East End de Londres. Le jeu consistait à prendre le prénom de chaque membre de l’équipe et de rechercher son équivalence en titre de film. La co-fondatrice et codirectrice Eve Gabereau aurait clairement du être la gagnante. C’est plutôt facile lorsque votre nom n’évoque pas moins que le chef d’oeuvre impérissable de Joseph L. Mankiewicz, Eve (All About Eve), sans doute le meilleur rôle de Bette Davis.
Le directeur général de Soda Pictures, Edward Fletcher, n’a pas la même chance. Le film qui correspond à son prénom, Ed, est une comédie située dans le monde du baseball, avec l’acteur de la série à succès Friends en guise de star. Mais il en faudrait beaucoup plus pour décourager l’enthousiasme cinéphilique d’Edward. Cet ancien directeur de projets au prestigieux Institute of Contemporary Arts (ICA) à Londres est l’un des rares distributeurs indépendants survivants dont la motivation pour entrer dans ce secteur férocement compétitif a été d’abord et avant tout une question de goût et de passion pour un cinéma de toutes les cultures du monde.
Avant ICA, Edward a été le gérant de quelques cinémas emblématiques du secteur indépendant. Lorsqu’il en était le programmateur, le cinéma Cambridge Arts était un endroit très vivant dans lequel une audience de connaisseurs pouvaient se mesurer au meilleur du cinéma des quatre coins du monde. Son poste suivant, à la tête du David Lean Theatre, à Croydon dans la banlieue sud de Londres, après que la municipalité l’ait transformé en centre culturel au milieu des années quatre vingt.
Le plongeon très téméraire de Edward d’un poste confortable avec ICA, dans les eaux troubles de la distribution indépendante fut motivée par sa rencontre avec Eve, qui était alors programmatrice pour le Festival International du Film d’Edimbourg. Ils avaient l’un et l’autre l’intuition que le marché était mûr pour un cinéma sortant des sentiers battus, y compris les films en langues étrangères. L’envie de mener leur propre barque les démangeait tous deux.
« A l’époque, la major française de la distribution, UGC, venait d’entrer dans le marche anglais et promettait de programmer plus de films étrangers » se souvient Ed. « C’était également l’époque ou le DVD allait vers son zénith, et de plus en plus de films dits ‘spécialisés’ trouvaient une niche dans ce marché. Et la télévision continuait à croître, avec des nouveaux bouquets de chaînes déclenchant une forte demande pour tous les types de films. Le moment semblait parfaitement juste pour que nous prenions le risque de nous lancer comme distributeur spécialisé ».
Le baptême du feu de Soda fut un film historique français de qualité, Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise, qui fut un succès pour la jeune entreprise, terminant son exploitation sur cinq copies en salles avec des revenus tout à fait honorables et trouvant sa place dans le marché DVD.
Ed et Eve furent inspirés à l’origine par le succès d’un autre jeune distributeur indépendant, Optimum Releasing : « Optimum était déjà sur le marché depuis trois ans lorsque nous nous sommes lancés et d’une certaine manière, nous avons trouvé des points de repères en les observant. Nous nous sommes dit que si ils y arrivaient, nous aussi nous en étions capables », confesse Edward. Avec le bénéfice du recul, le pari a-t-il fonctionné ? « Réflexion faite, et bien que nous parvenions à continuer, nous étions effectivement en retard de deux ans sur les changements. Au moment ou nous étions prêts à démarrer, le marché du DVD avait commencé à stagner et le prix unitaire amorçait son déclin. Les revenus de la télévision hertzienne commençaient à être descendus en flèche par la montée des nouveaux médias et le contrôle des cinémas indépendants était entrain de se transformer, largement au détriment du type de films que nous aimons distribuer ».
A l’époque du lancement de Soda, il était encore possible pour les films dits « spécialisés » d’obtenir des seconds et troisièmes cycles d’exploitation dans les cinémas de quartier à Londres et dans d’autres grandes villes du pays. Edward se souvient comment la comédie argentine Bonbon El Perro , distribuée en salles par la filiale anglaise du distributeur français Pathé, réalisa une recette brute de 650 000 £ (826 000 €), un chiffre remarquable pour un petit film en langue espagnol et sans stars. « Bonbon s’est appuyé sur un bouche-à-oreille très fort et il fallait pour que ce facteur joue, que le film soit maintenu dans les cinémas suffisamment longtemps. A l’époque, le distributeur a réussi à obtenir une période d’exploitation de dix à douze semaines au cinéma Swiss Centre (tout près de la fameuse place Leicester Square en plein centre de Londres) », se souvient Edward. « Aujourd’hui, ces cinémas ont soit fermé leurs portes (c’est le cas du Swiss Centre), ou sont entre les mains de nouveaux gérants qui n’ont pas la patience de distribuer du cinéma étranger ».
Bonbon est comparable à une autre comédie dramatique latino-américaine, Les Toilettes du Pape, que Soda a distribué en Angleterre en 2008. Mais les opportunités de distribution pour de tels films se sont dramatiquement effondrées dans ce pays depuis cinq ans : Les Toilettes du Pape n’aura été disponible que sur un très petit nombre de copies pendant à peine deux semaines d’exploitation.
Les sorties en salles de Soda pour 2008 illustrent bien le défi que représente la promotion d’une certaine diversité culturelle dans un marché de la salle de cinéma dominé par une logique purement économique. Azur et Azmar, un long métrage français d’animation particulièrement soigné, s’est attiré un fort succès critique internationalement ainsi qu’un succès commercial dans certains pays d’Europe. Mais sa sortie en Angleterre aura été une déception pour Soda, en dépit d’un budget de sortie conséquent. « En fin de compte, les recettes ont été décevantes simplement parce que nous n’avons pas eu l’accès nécessaire. Il n’y avait tout simplement pas assez de cinémas prêts à montrer le film.
L’histoire de Soda Pictures démontre le niveau d’engagement, de savoir faire et d’endurance requis pour ceux qui veulent s’essayer à apporter un cinéma différent à une culture britannique contemporaine dominée par le canon anglo-américain. Ses succès fréquents, en dépit d’un marché peu favorable, sont d’autant plus remarquables : en 2007, un documentaire autrichien de long métrage sur la vie quotidienne dans un monastère chartreux, Into Great Silence aura généré 200 000 £ (254 000 €) en recettes salles brutes, tandis que le drame français sur le tourisme sexuel contemporain, Heading South, aura réalisé une recette non moins respectable de 225 000 £ (286 000 €).
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