SAN SEBASTIAN 2021 New Directors
Emanuel Pârvu • Réalisateur de Mikado
“Je sais qu’un film ne peut pas changer le monde, mais il peut soulever des questions”
par Ştefan Dobroiu
- Entretien avec le réalisateur roumain, qui semble, dans son deuxième long-métrage, déterminé à vraiment comprendre des situations familiales compliquées
L’acteur, scénariste et réalisateur roumain Emanuel Pârvu a présenté en avant-première son deuxième long-métrage, Mikado [+lire aussi :
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interview : Emanuel Pârvu
fiche film], dans la sélection New Directors de la 69e édition du Festival de San Sebastian. Voici ce que le réalisateur a à dire sur ce qui l’intéresse lorsqu'il réalise un film et sur les défis auxquels est confrontée l'industrie cinématographique roumaine.
Cineuropa : Y a-t-il quelque chose d’autobiographique dans cette histoire ? En tant que réalisateur, qu’est-ce qui vous a motivé à la raconter ?
Emanuel Pârvu : L’idée du film ne date pas d’hier, mais je n’ai pas pu la concrétiser avant aujourd’hui. La genèse de l’histoire est en quelque sorte autobiographique. Je veux dire par là qu’à un moment donné, un parent offre un cadeau à un enfant et que ce cadeau est ensuite offert à quelqu’un d’autre. Mais dans mon cas, le cadeau finit dans les mains d’un enfant dans un orphelinat. Tout le reste n’est que fiction, Dieu merci. Lorsque j’ai décidé de faire de cette idée une histoire, j’ai rencontré le scénariste Alexandru Popa, et après des mois de travail, de réécriture et de discussions avec la réalisatrice Miruna Berescu, nous avions enfin une version que nous pouvions utiliser pour les répétitions.
Mon premier objectif était d’évoquer un sujet qui me préoccupe. Je sais qu’un film ne peut pas changer le monde, mais il peut soulever des questions susceptibles de nous faire évoluer en tant qu’êtres humains. L’origine du mal, le libre arbitre et la théodicée sont vus par le biais de l’instinct de survie. Voilà quels étaient les sujets que je voulais explorer dans le film. Et je pense que ce sont des choses auxquelles nous devrions réfléchir plus souvent.
Jusqu’ici, vos deux films s’articulent sur la relation père-fille. Quel héritage sommes-nous censés laisser aux générations futures ?
Après Meda or the Not So Bright Side of Things [+lire aussi :
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interview : Emanuel Pârvu
fiche film], j’ai pensé qu’il était peut-être préférable de s’intéresser à la relation entre des personnes unies par les liens du sang (contrairement à Meda, où il était question d’une adolescente et de son père adoptif). C’était le cadre idéal pour explorer la complexité de l’amour et tout ce qu’il implique, l’attention, le soin, l’engagement, la confiance, montrés par le prisme d’un événement inattendu, d’une "coïncidence". Cela m’a poussé à me demander à quel point nous pouvions influencer notre destin.
Je pense que l’héritage que nous devrions laisser aux générations futures devrait être moral et culturel. Aujourd’hui, confondre la réussite avec les valeurs, l’impertinence avec le courage et la fierté avec la dignité est facile à faire. L’amour parental et filial est le type d’amour le plus fort. Que doit-on faire pour que cet amour ne laisse pas le contrôle l’emporter sur l’affection, l’indulgence et l’excès de générosité et de tendresse dont on fait preuve pour attirer l’attention de quelqu’un, ou sur le fait de renoncer à sa liberté ?
Que pensez-vous de Cristi, votre héros ? Portez-vous sur lui un quelconque jugement ?
Dès le début, je ne l’ai jamais jugé. Je pense que l’amour qu’il ressent pour son enfant est assez banal. Nous le voyons à chaque étape. Les parents pensent toujours qu’ils savent mieux que tout le monde, et c’est peut-être là le moyen le plus rapide de gâcher la relation que l’on a avec un adolescent, à savoir une relation qui est déjà difficile. Dans ma vie privée, je fais de mon mieux pour ne pas me comporter comme Cristi, même si j’en ai très envie. J’essaie de faire confiance à ma fille et de ne pas la surveiller en permanence.
Vous êtes un acteur accompli. Cela vous a-t-il aidé lorsque vous vous êtes lancé dans la réalisation ?
Effectivement, cela m’a été très utile. Je savais à quel point il était difficile d’être de l’autre côté de la caméra, d’être le réalisateur. Et, plus important encore, je mesurais combien il était important pour les acteurs de dire au réalisateur qu’il pouvait compter sur eux. Si vous me permettez de faire une analogie, quatre chiens tirent le traîneau de la réalisation d’un film (et je dis ça sans aucun mépris pour le travail des autres intervenants). Il s’agit du producteur, du réalisateur, de l’acteur principal et du directeur de la photographie. Si l’un d’entre eux ne suit pas le sens de la marche, le traîneau se renverse.
En parlant de renversement, un nombre croissant de voix s’élèvent dans le cinéma roumain pour dénoncer le manque de soutien dont les réalisateurs ont besoin et qu’ils méritent. Selon vous, qu’est-ce que les autorités roumaines pourraient faire à ce sujet ?
Il faut revoir les modalités de financement. Je pense que l’argent du budget de l’État devrait servir à financer le fonds cinématographique, comme c’est le cas pour le théâtre en Roumanie. Il y aura toujours des gens qui ne seront pas récompensés dans les concours de projet, et cela engendre une certaine frustration. Il y aura toujours des cinéastes qui se sentiront lésés. Mais l’engagement de l’État renforcera la tranquillité d’esprit d’un domaine qui a très bien représenté la Roumanie à l’étranger.
(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)