Mario Martone • Réalisateur de Fuori
"Chaque être humain peut se sentir comme en prison et seule l’imagination peut nous libérer"
par Fabien Lemercier
- CANNES 2025 : Le cinéaste italien raconte sa plongée en fiction dans l’univers de l’écrivaine culte Goliarda Sapienza et dans la Rome de 1980

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fiche film] en 2022), le cinéaste italien Mario Martone revient sur la genèse de sa libre adaptation en fiction de deux livres de Goliarda Sapienza (interprétée dans le film par Valeria Golino) : L’Université de Rebibbia et Les Certitudes du doute.
Cineuropa : Comment est née l’idée de Fuori ?
Mario Martone : Cela a été un long parcours. C’est ma co-scénariste Ippolita Di Majo qui m’a proposé l’idée de travailler sur Goliarda Sapienza dont elle avait lu les livres. Nous avons d’abord envisagé d’adapter L’art de la joie, puis il y a cinq ans de faire un film biographique avec Valeria Golino dans le rôle. Ensuite nous avons monté au théâtre son roman Le fil de midi et nous sommes finalement arrivés à Fuori. Ce qu’a écrit Goliarda Sapienza est très stimulant cinématographiquement. Nous ne voulions pas faire un film rempli d’informations sur elle, mais réaliser plutôt un portait d’elle sur fond d’un été à Rome en 1980. Un portait d’une écrivaine avec ses créatures littéraires qui sont des personnages qui ont vraiment existés, mais qui prenaient une toute autre dimension dans les romans de Goliarda. Et tout ceci a pris vie avec l’intention d’avoir le maximum de légèreté possible.
Les films avec des personnages principaux féminins sont relativement rares dans votre filmographie. Et Goliarda Sapienza est une figure majeure du féminisme. Était-ce un défi ?
C’est vrai que ma filmographie est plutôt masculine à quelques exceptions près. D’abord, ce que j’aime, c’est avant tout faire des films à chaque fois différents et repartir à zéro. Ensuite, à mes yeux, Goliarda est un peu comme le protagoniste de mon premier long métrage Mort d’un mathématicien napolitain ou comme Leopardi [+lire aussi :
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fiche film], une artiste mal à l’aise dans son époque, dans sa société, et qui cherche d’une certaine manière une issue de secours. Ce sont aussi évidemment des sortes d’autoportrait puisque moi aussi, à travers le cinéma, je cherche à fuir et à supporter la vie. Mais ce n’est pas réservé aux artistes car je pense que chaque être humain peut se sentir comme en prison et seule l’imagination peut nous libérer, même si c’est pendant une simple promenade en montagne.
Comment avez-vous travaillé pour restituer la perception du monde décalée de Goliarda, son étrangeté, sa différence ?
J’ai essayé que tout le film passe par son regard. Quand on voit des arbres, des bouts de bâtiments, des architectures, des ruines romaines, j’ai toujours filmé comme si c’était vu par elle. Elle devait regarder car c’est son action principale, celle d’une écrivaine qui observe. Tout le film est orienté ainsi. Ensuite, de temps en temps, comme dans la scène de la parfumerie, les espaces bougent d’un seul coup, ils se dilatent. Car si on lit cet épisode dans son livre, elle qui racontait quelque chose de réaliste se déclenche d’un seul coup et commence à fantasmer. C’était passionnant de travailler à ce que tout ce qui soit autour d’elle soit toujours un reflet de sa perception.
Comment avez-vous recréé la Rome de 1980 ?
Comme toujours quand je restitue le passé : sans reconstitution des décors, mais en travaillant sur le réel. Toutes les villes conservent les strates de leur propre passé. Il s‘agit de savoir les voir, savoir les retailler avec la caméra et les monter. En ressort une cité du passé qui est dans le présent. Donc j’ai tout tourné dans la Rome d’aujourd’hui. Nous avons également tourné dans le format 1.66, qui était celui employé à l’époque, pour rappeler le cinéma de ces années-là. Et c’est la même chose pour les zooms : d’habitude quand j’en fais, je les cache alors que dans ce film, j’ai fait des zooms comme dans les films italiens des années 70, comme chez les Français aussi, par exemple chez François Truffaut. Et comme Rome est grande, comme une forêt de ciment et de nature, j’ai beaucoup aimé que le film se promène dans des zones que les touristes ne connaissent pas. C’est aussi lié au fait que le personnage de Roberta (Matilda De Angelis) emmène Goliarda dans des zones de périphérie où cette dernière, qui vit dans le quartier bourgeois des Parioli, n’irait pas de sa propre initiative.
Le cinéma compte déjà des films célèbres sur deux femmes en plein road-movie.
Thema et Louise est un film qui m’a toujours énormément plu parce que c’est une référence. Mais les références, pour chaque film, c’est comme une constellation. Mais je pense notamment à John Cassavetes car à part Valeria Golino, je ne vois que Gena Rowlands comme actrice qui aurait été capable d’incarner Goliarda Sapienza.
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