Critique : Antier noche

par Giorgia Del Don

28/04/2023 - Dans son premier long-métrage, Alberto Martín Menacho nous fait découvrir le quotidien d’un village apparemment assoupi du sud-ouest de la péninsule ibérique

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interview : Alberto Martín Menacho
fiche film] de l’Espagnol Alberto Martín Menacho (formé à la Haute école d'art et de design de Genève-HEAD), qui a fait sa première mondiale en compétition internationale à Visions du réel, est un premier film d’une grâce extrême qui fait cohabiter de manière fluide documentaire et fiction, rites ancestraux et musique électronique, messages vocaux et fauconnerie. Imprégné par des souvenirs familiers d'une Estrémadure désormais quasi mythologique qui se mêle à son propre quotidien de millénial, Alberto Martín Menacho se laisse transporter par la beauté de ces terres espagnoles arides et des microréalités qui le peuplent encore.

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Quatre jeunes nous accompagnent dans ce fascinant voyage entre traditions ancestrales (comme la chasse au lièvre avec les galgos, les lévriers espagnols) et besoin d’évasion : un aspirant-musicien qui travaille dans un petit supermarché, un petit garçon fasciné par la chasse, un DJ passionné de tatouages qui travaille comme éleveur et une maman qui vit de petits boulots ponctuels. Grâce à eux, à leur désir de partir, mais aussi à l’amour qu’ils éprouvent pour une terre qui semble n’avoir plus rien à offrir, Alberto Martín Menacho s'interroge sur le rôle d’activités qui semblent n'avoir plus rien à voir avec notre société hyper technologique. Et cependant, dans ces terres semi-abandonnées, le besoin de se confronter à la force de la nature et d’explorer la part de primitivité qui sommeille en nous continue à vivre, vestige d’une humanité à la fois violente et pleine de poésie.

À l'instar des galgos, capables de courir extrêmement vite mais pas d'échapper à un destin de privations et de violence (quand ils ne servent plus à la chasse, beaucoup sont abandonnés), les quatre personnages du film se débattent entre dépendances contemporaines (le téléphone portable, les jeux vidéo, les histoires d’amour dont on sait déjà qu’elles finiront mal) et impossibilité d'abandonner un territoire qui les retient prisonniers. Ce que le réalisateur met en scène est le quotidien d'individus en lutte avec les paradoxes de leurs propres vies. Rapprochés par leur désir commun de fuir sans pour autant savoir où aller, suffoqués par un ennui qui se reflète dans les étendues quasi-désertiques qui les entourent, les héros du film continuent, malgré tout, d'espérer sortir un jour de leur chrysalide. Ainsi, c'est dans l’excitation d’un amour estival, dans la musique, dans les pulsations cathartiques d'une rave party, mais aussi dans le secret d’une activité que beaucoup ne voient plus d'un très bon oeil, comme la chasse au lièvre avec lévriers, qu'ils défoulent leur rébellion secrète.

Alberto Martín Menacho parvient à saisir et faire communiquer des micro-réalités qui pourraient passer inaperçues mais qui conservent en elles, comme des fossiles, des éléments de notre passé à nous aussi. Tout comme l’expression, aujourd’hui archaïque, qui donne son titre au film, le petit village auquel s'intéresse le réalisateur se transforme en écho d'un monde qui n'existe plus sinon dans les souvenirs de ceux qu’il habitent encore. Ce sont précisément ces énergies contradictoires qui cohabitent dans le même petit territoire, suspendues entre passé et présent, humanité et animalité, distorsions électroniques et aboiements, qui transforment le présent en poésie.

À la croisée des chemins entre la magie de Bresson, le cruel réalisme de Pasolini et la modernité d’Harmony Korine, Alberto Martín Menacho parvient à transformer l’immobilisme en force vitale.

Antier noche a été produit par la société suisse Lomotion Filmproduktion AG et l’espagnole Esia Studio avec SRF Schweizer Radio und Fernsehen.

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(Traduit de l'italien)