Critique : Sans jamais nous connaître
par David Katz
- Dans ce film sur un scénariste solitaire et ses sources d'inspiration ainsi que de souffrance, Andrew Haigh s'ouvre à une approche nouvelle

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fiche film], en gros, parle d’un homme qui peut communiquer avec les morts. Adam (Andrew Scott) a cette capacité de deux manières : son imagination, à travers sa profession de scénariste pour le cinéma et la télévision, peut produire des scénarios spéculatifs dérivés de la vraie vie et des gens qu'il a connus, et sa santé mentale défaillante, à cause de laquelle sa capacité à évaluer le réel fonctionne de travers. Il vient d'emménager dans un nouvel immeuble, dans un East London qui se gentrifie à grands pas, et semble beaucoup trop dépendre de la nourriture chinoise à emporter et de l'attrait de la télé-poubelle. Bien qu'il soit gay et célibataire, il hésite bizarrement sur certains moyens évidents d'alléger sa solitude, comme les applications, et puis il y a son voisin du dessous, Haris, joué par Paul Mescal.
Sans jamais nous connaître, qui a fait sa première à Telluride avant d’être projeté au Festival de New York et maintenant au Festival BFI de Londres, catapulte de nouveau Andrew Haigh sur le devant de la scène après Lean on Pete [+lire aussi :
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fiche film] et The North Water, moins réussis. Alors qu'on vient de perdre, cette semaine, son formidable prédécesseur Terence Davies, on peut saluer Haigh comme un vrai poète de la vie gay britannique, et peut-être un commentateur mélancolique de ce sujet. En effet, Sans jamais nous connaître (pour reprendre le concept à la mode d'"hétéropessimisme" – cherchez-le sur Google) est assez désespérant quant à ce dont souffrent depuis longtemps et continuent de souffrir les hommes gays, et s'il exprime de l'empathie et fait montre de sensibilité, il n'est jamais galvanisant, positif ou même militant, comme c’est la mode en ce moment dans le cinéma queer.
C’est aussi très plaisant de voir un film sur un écrivain malheureux en panne d’inspiration qui ne soit pas gênant (même si on t'aimera toujours, Nicolas Cage d'Adaptation). Dès le début du premier acte, Adam ouvre Final Draft pour écrire "EXT. UNE ALLÉE DEVANT UNE MAISON DE BANLIEUE"), et comme Haigh opte pour une narration onirique, le plus gros de ce qui suit pourrait être le récit d’un narrateur menteur. Cependant, les détails qui font mal et les caractérisations très sagaces de ses parents (très bien incarnés par Jamie Bell et surtout Claire Foy) nous convainquent qu'il puise dans quelque chose de très personnel : leur mort prématurée dans un accident de voiture et leur homophobie par étroitesse d'esprit. On voit Adam "retourner d'où il vient", très littéralement, c'est-à-dire prendre le train pour rallier cette banlieue résidentielle, ce qui fait l'effet d'une représentation physique de son processus d’écriture. Ce qu’il voit, qui réveille en lui les vieux traumatismes, est l'expression même du monde hétéronormatif tel qu'il était à la fin des années 1980, à savoir lourdement discriminant et non plus ouvertement insultant.
Avec sa méthode, qui joue du suspens narratif et de l’incertitude, Sans jamais nous connaître est un film beaucoup plus porté par son intrigue que les travaux qui ont fait connaître le réalisateur, Weekend [+lire aussi :
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fiche film] et 45 ans [+lire aussi :
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Q&A : Andrew Haigh
fiche film], parfois à ses dépens. Les quarante dernières minutes du film environ fournissent une panoplie de nouvelles révélations qui altère la subtilité qu'avait le scénario jusque là. Peut-être que le fait d'avoir été réalisé avec une mini-major américaine, Searchlight (qui appartient certes à présent à Disney), plutôt qu'A24 ou de l'argent public britannique, a requis un mouvement narratif un tantinet plus preste, ce qui paie, car en effet peu de spectateurs trouveront le film ennuyeux. Cependant, ce côté trop travaillé, indéniable, s'installe un peu trop, notamment à l'acmé du fil narratif concernant le personnage de Mescal, et menace paradoxalement d'aliéner le spectateur et de le rendre moins enclin à adhérer aux choix de mise en scène et de structure grandioses de Haigh. Ceci mis à part, c'est un beau film qui conclut, tristement, qu'il n'est pas d'autre amour que l'amour vache.
Sans jamais nous connaître est une coproduction entre le Royaume-Uni et les États-Unis qui a réuni les efforts de Searchlight Pictures, Blueprint Pictures et Film4.
(Traduit de l'anglais)
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