Critique : Valeur sentimentale
par Marta Bałaga
- CANNES 2025 : Avec ce touchant drame psychologique familial, Joachim Trier est très proche du style de Bergman, mais il y injecte aussi une bonne d'humour tendre

Il y a le cinéma d’art d'essai, et le cinéma d'auteur accessible, et le Norvégien Joachim Trier est devenu une sorte d'expert dans la deuxième catégorie. Ses films, en particulier les plus récents, misent beaucoup sur le rire qui filtre à travers les larmes. Ça fait terriblement sentimental, dit comme ça, mais ça fonctionne.
La souffrance ne fait pas peur à Trier, mais il en parle sur un ton qui est supportable pour le spectateur. Son nouveau le film, Valeur sentimentale [+lire aussi :
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interview : Joachim Trier
fiche film], en compétition au Festival de Cannes, montre une famille qui cache tellement de secrets que la maison s'est littéralement mise à se fissurer. Certains événements terribles sont mentionnés, d'autres ont été si soigneusement planqués que seule une sœur, très attentive aux autres, a su les débusquer, et pourtant, le film fait plus l'effet d'une tendre comédie que d'un intense psychodrame. Trier y arrive même à rendre Irréversible drôle.
Pas pour le sujet du film (quand même !), mais parce que ce long-métrage notoirement insoutenable est ici jugé adapté comme cadeau pour un garçon de neuf ans par son grand-père démissionnaire Gustav (Stellan Skarsgård, indéniablement un des meilleurs acteurs présentement en activité). Ça et La Pianiste [+lire aussi :
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fiche film] de Haneke, censé lui "apprendre des choses sur les femmes". Pas grave, car de toute façon, la famille n'a pas de lecteur DVD (qui en a encore ?), mais c’est un autre exemple du fait que Gustav plane complètement, ou une autre de ses lassantes manœuvres de provocation.
Gustav, cinéaste, a abandonné sa famille il y a des années sans jamais se soucier des conséquences de cet abandon pour ses filles Nora et Agnes (Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas). Rester en contact "entre deux films" n’a jamais été son truc, mais comme ça fait quinze ans qu'il n'a pas fait de film, il n’a plus d’excuses. Quand il revient, après la mort de son ex femme, et reprend la maison familiale, il est clair qu’il veut quelque chose, mais ce n'est pas de réconciliation qu'il s'agit, du moins pas du genre évident qui fait chaud au cœur : Gustav a écrit un scénario sur sa mère à lui, qui s’est suicidée quand il était petit, et seule Nora (qui s'inscrit bien dans la lignée des poètes torturés de la famille) peut l'interpréter.
De nouveau, ça fait très bergmanien comme dispositif, et Skarsgård a la capacité de transformer en glace tout ce que touche son regard de Mr. Freeze, mais ces gens ne peuvent pas s’empêcher d’être drôles. La crise nerveuse de Nora, avant d’entrer en scène (quand elle demande à son collègue comédien de la baiser, puis de la frapper, avant de déchirer son corset pour pouvoir respirer), est franchement tordante, de même que l’égocentrisme de Gustav et l’acceptation résignée d'Agnes par rapport au fait que parmi ce groupe d'artistes fous à lier, c’est à elle de nettoyer les dégâts. Il y a beaucoup de strates et de sous-intrigues là-dedans qui ne font pas toujours mouche, mais dès que Gustav obtient les financements (grâce à Netflix) et arrive même à embaucher une vraie star américaine (Elle Fanning), avec toutes les références au secteur du cinéma que cela suppose, y compris aux "créneaux presse", le film se met à vraiment caresser le critique dans le sens du poil – et de fait, les critiques ont très bien accueilli la première projection du film à Cannes.
Les cinéastes et acteurs sont nombreux à comparer la création à une psychothérapie mais Trier, ici en grande forme, montre tendrement comment les choses fonctionnent dans la pratique. La mère de Nora et Agnes était psychanalyste, à dire vrai, mais cela n'empêche pas qu'elles sont elles-mêmes incapables de se poser et de vider leur sac. Ce n’est pas comme ça que ça marche, surtout pas dans un contexte nordique. Tout ce que nos personnages ont, ici, c’est le nouveau scénario de Gustav. Les secrets trop longtemps enfouis peuvent vous ronger, vous et vos enfants, semble être la leçon à retenir. Il ne reste plus qu'à faire de l'art. Et à être joyeux.
Valeur sentimentale a été produit par Mer Film et Eye Eye Pictures en Norvège, Komplizen Film (Allemagne), MK Productions (France), Zentropa (Danemark) et BBC Film (Royaume-Uni). Les ventes internationales du film sont assurées par mk2 Films.
(Traduit de l'anglais)
Galerie de photo 21/05/2025 : Cannes 2025 - Sentimental Value
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