email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

EDITORIAL

Diversité culturelle ou darwinisme cinématographique

par 

- Le réalisateur tchadien primé à Cannes en 2010 avec L’homme qui crie sonne l’alarme

Le 23 avril, un décret français a mis en place l’Aide aux cinémas du monde. Il s’agit d’une fusion du Fonds Sud et de l’Aide aux films en langue étrangère. Jusque-là, l’un et l’autre avaient leur propre spécificité : le Fonds Sud apportait un soutien non négligeable aux cinématographies des pays du Sud (Afrique, Amérique latine, Asie et certains pays d’Europe de l’Est) ; l’Aide aux films en langue étrangère était, elle, axée sur les films européens. A la place du Fonds Sud, qui était une aide destinée aux auteurs et à la création cinématographique, on a désormais un nouveau dispositif "dédié à la coproduction internationale". Un virage inédit dans la politique française d’aide au développement des cinémas du monde.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)
my-sextortion-diary_Seattle_ringo

Je ne doute pas des bonnes intentions qui ont motivé la création de l’Aide aux cinémas du monde. Elle a pour objectif de soutenir les cinéastes du monde entier. C’est une bonne chose. Mais quelle sera la place accordée aux cinématographies du Sud dans cette nouvelle configuration ? Car, selon les textes, les bénéficiaires de cette aide peuvent avoir droit à un montant équivalent à 50% ou 80%, selon les cas, de la part française. Autrement dit, plus un projet a un apport français important (part du producteur français, minimum garanti distributeur et vendeur, télévision française, etc.), plus l’aide accordée sera importante. En revanche, les petites productions, dont la part française est faible, seront pénalisées… Ce n’était pas le cas avec le Fonds Sud : il octroyait sa subvention sans tenir compte de la part française, il était même considéré par de nombreux professionnels comme un label de qualité permettant d’accéder à d’autres sources de financement. Avec l’Aide aux cinémas du monde, on privilégie désormais les projets dont l’apport français est important. C’est en quelque sorte une prime aux films bien financés. Or, c’est connu, dans leur très grande majorité, les films fragiles n’ont pas de minimum garanti distributeur et vendeur France, ils ne bénéficient que très rarement, voire pas du tout, du soutien d’une télévision française. En conséquence, la petite part de leur coproducteur français ne leur rapportera que des miettes. Il est évident que ce nouveau dispositif dessine en creux la fin de l’épanouissement des voix singulières, audacieuses venues des pays du Sud, la fin d’une forme d’équité. La plupart des projets du Sud auront un apport moins important que les films du Nord, déjà largement soutenus dans leurs pays respectifs ou par les fonds européens…

Depuis plus 25 ans, le Fonds Sud a permis de révéler ou d’accompagner des auteurs originaires de pays dont les cinématographies nationales sont fragiles, voire inexistantes. Des auteurs dont certains sont devenus des voix majeures dans leur pays et dans le monde comme Souleymane Cissé, Rithy Panh, Lucrecia Martel, Apichatpong Weerasethakul, Aida Beijic, Merzak Allouache, Pablo Trapero, Moufida Tlatli... Cette année, sept films, financés par ce Fonds, étaient présentés à Cannes dont Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas. Au total, plus de 500 films ont été soutenus par ce dispositif qui a largement contribué au rayonnement de la France à l’étranger.

Il est essentiel que le nouveau dispositif soit réexaminé et qu’on y injecte un peu plus de justice et d’équité en tenant compte de la réalité cinématographique de l’ensemble des pays auxquels ce soutien est destiné. Autrement, plusieurs cinématographies fragiles sont vouées à la disparition. Et la diversité culturelle, tant vantée par la France, se verra remplacée par un darwinisme cinématographique…


Mahamat-Saleh Haroun est un réalisateur tchadien primé à Cannes en 2010 avec L’homme qui crie.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy